Comment
suivre la divinité, faire son bonheur sur terre, sans pour cela
perdre l'espérance de le mériter dans l'au delà?
La
recherche du bonheur ne peut aboutir qu'après la mort
car la méchanceté du monde est telle que tout se heurte à des
forces de destruction nécessairement victorieuses.
Suivre
Dieu?
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Il semble bien que cela exige pour Tchékhov le dépassement des
grands mythes car les grands mythes donnent un sens au monde vécu.
Tchékhov les frappe tous de dérision, un peu à l'image d'une
Vénus qui serait complètement tronquée. La pièce, Oncle
Vania, nous présente en effet ces mythes en les "déplumant".
Le procédé a pour but de faire apparaître les forces de
destruction que les mythes masquent.
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La belle Eléna figure la belle Hélène par
qui le malheur arrive et qui provoque la guerre, la destruction
de Troie. Mais Eléna est paralysée par la peur, sa beauté sur
le point de passer semble tellement creuse qu'elle ne pourrait
nourrir que la platitude des besoins dans une brève rencontre
sans suite. Eléna nous est présentée en réalité comme la
figure de l'inexistence qui ne saurait nourrir ni le rêve des
hommes et encore moins les conflits ...
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Maria ne fait que crayonner dans son grand
livre du vide.
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Sébébriakov semble un demi dieu, mais son
ciel moscovite n'est qu'un rêve!
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Marina figure la fidèle Pénélope mais qu'est-ce
qu'une Pénélope sans la gloire d'Ulysse?
Tous les mythes implosent, pour ainsi dire, pour laisser sa
place à l'ordre de la destruction. Marina, certes, se réjouit
du triomphe de l'ordre mais elle passe sa vie à consoler!
Ainsi
Tchékhov ne "semble" plus garder qu'un destin en
fond de toile pour rythmer les existences malheureuses sous
l'oeil de Parques dérisoires: en réalité le
travail machinal, le respect de la tradition, ne sont que des
jeux devant la nécessité implacable des forces de destruction.
La terre, en dépit des pauvres efforts effectués, reste
soumise à une puissance qui défie la pauvre activité des
hommes.
Et
voilà qu'en fin de pièce tout semble pouvoir se régler par
l'intervention d'un Dieu qui répare tout, d'un Dieu
qui, pris de pitié,assure un repos éternel: l'arrêt du
travail inutile, comme si la recherche du bonheur n'était
qu'une méprise tragique car le bonheur est impossible dans une
monde voué au mal de la destruction.
Ce
grand repos peut être ou bien compris comme la félicité (=
bonheur qui ne dépend plus du hasard de la fortune) ou bien
comme la paix des cimetières. Dans les deux cas la mort est une
délivrance.
Rien n'interdit la foi de Sonia: Tchékhov la marque cependant
d'une ambiguïté en faisant dire à Sonia: "Je crois
passionnément".
Le bonheur rêvé est bien féminin (calme, tendresse,
douceur...).
Mais ne s'agit-il pas d'un nouveau mythe? (judéo-chrétien).
Chacun
reste donc libre d'interpréter le "nous nous
reposerons": dans la disparition qu'est la
mort ou dans la félicité, une félicité bien féminine. |