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"Le sage se contente de lui." Cité
par Sénèque, Lettres à Lucilius, I, IX, 63.
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"Je prends la décision de tout abandonner,
de tout jeter hors de moi ... Ouma m'a montré ce que
je dois faire... en apparaissant devant moi comme un
mirage parmi tous ces gens qui viennent travailler les
terres qui ne seront jamais à eux." Le Clézio,
Le chercheur d'or, Folio, page 348.
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Il
faut comprendre que le sage se contente de lui pour
vivre heureux, ce qui signifie que pour vivre il
utilise bien entendu les moyens extérieurs comme les ustensiles
ou encore son corps, ses mains ... Se
contente signifie
qu'il ne va pas demander son bonheur à un autre que lui: cela dépend
de sa décision.
C'est
donc bien à Alexis de prendre la décision. Si Ouma s'est présentée
comme un mirage, comme un être de fuite, c'est pour lui montrer
que sa recherche d'un trésor ou sa recherche d'une possession
n'était pas le bon chemin à suivre:
l'objet de l'amour n'est pas de l'ordre de l'avoir et
tout l'or du monde ne saurait l'acheter car une liberté ne se
possède pas. Et si Ouma s'est présentée parmi les siens, si
elle a pris pour toile de fond ces
gens c'est parce que leur pauvreté est ce qu'ils
ont de plus précieux si elle relève de l'humilité et de cette
liberté qui ne s'attache pas, comme de cette dignité du
travail. Ouma a donc montré le devoir, ce qu'il doit faire,
pour réconcilier devoir, liberté et bonheur dans un royaume où
la beauté de la terre féconde la beauté du ciel.
Celui qui recherche le bonheur ne peut demander des
moyens à l'extérieur de lui (trésor, possession
d'autrui): cela reviendrait à se mettre sous la dépendance des
caprices de la fortune ou de la volonté d'autrui. D'ailleurs si
bonheur et amour sont de l'ordre du sentiment, sont une partie
de soi, comment demander au dehors une partie de soi au risque
de faire peser sur les autres la charge insoutenable d'une
demande dont le contentement ne dépend pas d'eux (par exemple,
combler une solitude!). Ne serait-ce pas se décharger d'une
décision (performative), d'une tâche à accomplir comme si
elle pouvait être effectuée à notre place par autrui ou par
un hasard si heureux soit-il.
La
recherche du bonheur serait alors transformée en recherche du
malheur, en nous déchargeant de ce qui nous incombe: la réalisation
progressive de notre liberté par l'activation de notre
existence spirituelle (on notera sur ce point précis la
parfaite convergence de Sénèque et de Le Clézio).
D'ailleurs,
en demandant au dehors une partie de soi, on s'engage dans l'échange,
et une relation d'affaires. On parle du don de soi alors qu'on
cherche en réalité un attachement réciproque alors qu'on se
lie à ce qui ne dépend pas de nous, à la liberté d'autrui:
ainsi se forme une passion honteuse qui nous asservit à
l'action d'autrui.
D'où
un problème: Comment accepter sa
solitude pour pouvoir aimer librement, en se
contentant de soi sans perdre l'objet de l'amour et sans se
perdre soi-même: comment aimer sans s'attacher, perdre sa
liberté et se perdre? |