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La vérité du romanesque est la forme caractéristique du
romanesque: le romancier joue le rôle du narrateur, revenu des
illusions et désormais à l'extérieur du rêve: il reste
cependant apte à des analyses puisque par la mémoire, il
retrouve ce qu'il a vécu sous le pouvoir de l'imaginaire. En
lisant son désir, il l'a vaincu, et attribue désormais
au pouvoir de l'imaginaire toutes les fantasmagories qui
s'interposaient entre lui et l'objet qu'il croyait aimer. Pour
mettre en évidence un malentendu, un quiproquo, il faut
bien porter un regard intuitif sur les deux interlocuteurs
séparés par un abyme.
Comment comparer si on n'accède qu'à un des points de vue,
celui de la passion? L'auteur narrateur est donc le seul à
pouvoir mettre en lumière le pouvoir de l'illusion comme
satisfaction imaginaire d'un désir. Le projet du romanesque
c'est de nous mener, par maïeutique, dans des analyses des
illusions qui sont autant de marches vers la désillusion et
cela se voit bien dans les oeuvres présentées ici: Prendre
ensemble les trois oeuvres Lien
ouverture nouvelle fenêtre
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On qualifie de
romanesque ce qui est le privilège du créateur de l'oeuvre par
laquelle il met en évidence et donc limite le pouvoir qu'a
l'imaginaire d'emprisonner ceux qui sont animés par le désir
et ses corrélatifs l'orgueil ou le snobisme. La conscience,
dans le cercle enchanté déployé par une structure fixée
perçoit à travers l'imaginaire au point d'oublier ce qui dans
l'objet aimé lui résiste ou lui répugne. C'est dire que
l'auteur / narrateur est animé par le désir de la vérité et
que s'il retrace en de longues analyses les méandres de
l'illusion c'est pour exercer la maïeutique, chère à Proust,
celle qui a été initiée par Socrate avec le jeune esclave de
Ménon. Socrate ne manque pas d'indiquer l'invention de la
règle opératoire qui permet la résolution du problème de la
duplication du carré. Ainsi Proust amène son lecteur à
retrouver en lui la solution du problème posé par le désir de
vivre dans l'imaginaire d'autrui.
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La règle opératoire du mécanisme de l'illusion, la structure
du pouvoir de l'imaginaire tient à l'intervention d'un
médiateur qui ne peut apparaître qu'à un regard objectif
porté sur le rêve, de l'extérieur. L'homme, parce qu'il ne
peut désirer seul, ne saurait choisir lui même l'objet de son
désir: en ce sens la Princesse de Clèves ne peut se
forcer à désirer son mari parce qu'il n'y a pas de médiateur
qui le lui désignerait comme objet de son désir.
En
conséquence, il y a toujours un tiers qui
permet de comprendre le pouvoir de l'imaginaire qui fait
proliférer tout un tissu de justifications, toutes irréelles
bien entendu puisqu'elles viennent le plus souvent du passé.
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C'est à travers
l'art et la figure de Botticelli que Swann rencontre le visage
d'Odette, puis dans le déroulement, le médiateur ce sera les
fleurs qu'il commencera par arranger sur le corsage et qui
l'amènera à la rencontrer.
Comprenons bien que, à partir du moment où c'est le médiateur
qui désigne l'objet, l'objet n'est pas désirable en lui même,
ce n'est pas l'objet qui est aimé et cela permet de comprendre
la dernière phrase de Swann dans l'oeuvre. "Dire
que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir,
que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me
plaisait pas, qui n'était pas mon genre. "
Le sens,
la signification de l'orientation des oeuvres nous est donné
par ce fait que c'est à partir d'une prise de conscience d'un
narrateur revenu de toutes ses illusions que se déroule toute
l'oeuvre vers la vérité progressivement révélée vers
laquelle il faut entraîner le lecteur, dans une vie imaginaire
dont on a l'espoir qu'elle lui épargnera bien des vicissitudes:
donner à lire pour mieux vivre!
L'épilogue
dans chacune des oeuvres témoigne ainsi de l'amour vrai qui est
bonté et du même coup vérité ultime.
A partir du cercle enchanté dans lequel nous enferme
l'imaginaire, contre lui, le romancier narrateur veut détourner
de l'aliénation une rêveuse jeunesse: nous participons aux
analyses, nous participons au mouvement de l'esprit par la
maïeutique, à l'entreprise qui vise à briser l'illusion en la
décomposant, en soulignant le pouvoir qu'a l'imaginaire
d'affoler le désir par des irréalités au point de rendre
aveugle à la réalité: passer de l'illusion à la
désillusion. "C'est toi qui le diras".
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Si le grain ne meurt
... à ceux qui seront passés par cette purification du pouvoir
de l'imaginaire, reviendra la joie de comprendre: la différence
entre Swann et le narrateur apparaîtra en toute clarté. Alors
que Swann est, pour ainsi dire, mort à son passé dans la
mesure où il ne peut réactualiser les impressions de son amour
(il s'ennuie), le narrateur échappe à l'enchantement du cercle
en découvrant comment le désir de vivre dans l'imaginaire de
l'autre, l'investit au point de le défigurer. Il cesse alors de
croire à l'objectivité de ce qu'il a élaboré et,
débarrassé des tortures et de l'angoisse, il découvre son
amour et qu'il est amour.
Joie née de la compréhension, de la vérité d'un jugement que
la mémoire et "la lecture du désir" ont rendu
possibles.
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