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« Puissances de l'imagination »

(voie d'accès choisie: le pouvoir de l'imaginaire - Perspectives par Joseph Llapasset)

Proust, Un amour de Swann

Un monde imaginaire (Proust) I. page 188 (Pléiade) -

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Toute institution sociale naît , vit, se nourrit de l'imaginaire car elle tient radicalement à ce pouvoir de création qu'est l'imaginaire, par lequel des mondes autres, aveugles à ce qu'ils ne sont pas, arrivent à l'existence, aux rivages où la lumière de l'esprit les attend.
Si l'essence de l'imaginaire c'est d'abord la négation de ce qui est donné, faut-il s'étonner que le pouvoir de l'imaginaire soit du même coup pouvoir d'innovation sinon de création? Croire à la réalité de ce qui est irréel, que ce qui est unique dans une personne lui appartient c'est proprement être dans l'illusion , dans le rêve.

"Pour faire partie du «petit noyau», du «petit groupe», du «petit clan» des Verdurin, une condition était suffisante mais elle était nécessaire: il fallait adhérer tacitement à un Credo dont un des articles était que le jeune pianiste, protégé par Mme Verdurin cette année-là et dont elle disait: «Ça ne devrait pas être permis de savoir jouer Wagner comme ça!», «enfonçait» à la fois Planté et Rubinstein et que le docteur Cottard avait plus de diagnostic que Potain. Toute «nouvelle recrue» à qui les Verdurin ne pouvaient pas persuader que les soirées des gens qui n'allaient pas chez eux étaient ennuyeuses comme la pluie, se voyait immédiatement exclue. Les femmes étant à cet égard plus rebelles que les hommes à déposer toute curiosité mondaine et l'envie de se renseigner par soi-même sur l'agrément des autres salons, et les Verdurin sentant d'autre part que cet esprit d'examen et ce démon de frivolité pouvait par contagion devenir fatal à l'orthodoxie de la petite église, ils avaient été amenés à rejeter successivement tous les «fidèles» du sexe féminin."
Proust. Un Amour de Swann, I. page 188 (Pléiade)  

Toute communauté, parce qu'elle n'est rien sans l'imaginaire de ses fidèles, exige explicitement ou implicitement de chacun de ses membres, de ses habitués,qu'il admette, avec la foi du charbonnier, un bassin de sédimentations imaginaire (= qui n'existe ou n'est tel que dans l'imagination, qui est irréel, sans réalité correspondante); grâce à l'imaginaire le groupe social accède à l'existence et continue à exister. Ainsi, on entre dans le salon de "Verdurin" comme on entre en religion et il est demandé d'admettre sans discuter des dogmes qui ne sont que de l'imaginaire, comme si c'était des connaissances indubitables. C'est d'ailleurs par là que les fidèles pourront se reconnaître. Disons que le salon des "Verdurin" a été institué par une création là où il n'y avait rien: cette création a pour origine et fondement l'imaginaire, le pouvoir de l'imaginaire est donc un pouvoir de création qui tient à la foi et à la fidélité des croyants. On comprend pourquoi la communauté ne peut tolérer soit une mise en question par l'esprit d'examen, soit la comparaison avec d'autres groupes. Ce serait saper ce qui fait être le groupe.

La condition: nécessaire et suffisante pour faire partie du monde des Verdurin, ce qui est requis comme indispensable est l'adhésion au Credo qui réunit ses membres dans la foi à un imaginaire commun.

Petit noyau / petit groupe / petit clan / petite église: Quatre fois l'adjectif petit revient et il est difficile de nier que le salon est en effet de plus en plus petit et de plus en plus étriqué. L'imaginaire déployé n'en paraîtra, à un esprit critique, que plus irréel et ridicule par son enflure. Le vide, le snobisme, la sottise, la stérilisation de tout pensée sont les caractéristique du groupe.

Noyau, selon la durée, désigne un groupe humain considéré quant à sa permanence assurée par la fidélité des membres.

Groupe, selon l'espace, est une réunion de personnes qui se retrouvent dans un même lieu.

Clan: petit groupe formé de membres qui considèrent appartenir à une même "famille" et partagent le même bassin de sédimentations imaginaires, la conscience d'appartenir à un groupe exceptionnel, ce qui mérite d'être solidaires, d'autant plus que l'imaginaire du groupe met en eux des significations là où il y avait du vide.
Chacune des expressions qualifie le salon: sa permanence dans le temps, le lieu unique des réunions, l'aspect essentiel de ce qui est institué. 
A la fin du texte "petite église", rassemblement de ceux qui partagent la même foi, arrive au bout de toutes les déductions découlant du Credo exigé des fidèles, avec l'engagement de ne pas le remettre en question. En adhérant à un imaginaire c'est le monde du salon et le monde extérieur au salon qui va prendre des couleurs et des caractéristiques issues de l'imaginaire. 

Suite:  Prêtons attention maintenant à la métaphore religieuse filée par Proust