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« Puissances de l'imagination »

(voie d'accès choisie: le pouvoir de l'imaginaire - Perspectives par Joseph Llapasset)

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Malebranche, La recherche de la vérité

(Livre second, troisième partie, chap.IV, page 155)

L'air et les manières - Les différents airs  

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=> Les différents airs.

"Tous les différents airs des personnes de différentes conditions, ne sont que des suites naturelles de l'estime que chacun a de soi même par rapport aux autres, comme il est facile de la reconnaître si l'on y fait un peu de réflexion. Ainsi l'air de fierté et de brutalité, est l'air d'un homme qui s'estime beaucoup et qui néglige assez l'estime des autres. L'air modeste est l'air d'un homme qui s'estime peu, et qui estime assez les autres. L'air grave est l'air d'un homme qui s'estime beaucoup et qui désire fort d'être estimé; et l'air simple, celui d'un homme qui ne s'occupe guère de soi ni des autres. Ainsi tous les différents airs qui sont presque infinis ne sont que des effets que les différents degrés d'estime que l'on a de soi et de ceux avec qui l'on converse, produisent naturellement sur notre visage, et sur toutes les parties extérieures de notre corps."
(Pocket, page 117)

=> Prêter attention au mouvement du texte:
- D'abord ce que découvre un peu de réflexion: la liaison des effets.
- Ensuite la séries des différents airs, fonctions du degré d'estime de soi même et des autres. 
- Enfin la simplicité d'une loi qui selon les occasions (ou conditions), détermine nécessairement les effets.

 La loi, comme rapport invariable (lien constant) entre deux ou plusieurs phénomènes, l'air, le degré d'estime: la loi s'applique à certaines occasions pour déterminer nécessairement les effets.

- Les airs sont des effets => Ce qui s'ensuit des degrés d'estime de soi et des autres, ce qui succède => produisent; sont la condition d'apparition; font apparaître de manière naturelle, selon un mécanisme naturel qui ne doit rien aux "facultés" de l'homme => airs, comme modification du visage et des parties du corps.

Différents airs / différentes conditions. Malebranche a déjà insisté sur l'importance des conditions: si les airs diffèrent c'est en fonction des conditions particulières de chacun. Par exemple s'il habite dans un château ou s'il fréquente la cour du Roi. Dans la mesure où chaque personne "juge des choses par rapport à sa condition" (page 104), on comprend que cela influence le jugement qu'il porte sur soi et le jugement qu'il porte sue les autres. La condition désigne par exemple l'emploi occupé. (page 104)

Suites naturelles: ce qui est lié, ce qui découle de, ce qui s'ensuit de, ce qui succède à l'estime de soi et d'autrui qui sont des jugements. Dans cette succession, la volonté n'intervient pas. Cela se passe en l'homme, sans l'homme. Voilà pourquoi les suites sont naturelles de l'ordre de ce qui s'enchaîne par un mécanisme, une suite d'effets liés en fonction d'une loi.

L'estime que chacun a de soi même: c'est la bonne opinion que l'on a de soi même en fonction de la fierté, de l'amour propre, de l'orgueil qui sont autant de manière de se poser devant autrui en le dévalorisant ou en le valorisant. Dans tous les cas c'est bien une manière de se situer par rapport à autrui, souvent en fonction de la considération que l'on désire obtenir . (Pocket page 127)

Un peu de réflexion: pour peu qu'on ait recours à l'esprit d'examen sur la diversité des airs et les conditions de ceux qui les expriment, on devra bien reconnaître: le terme signifie ici, s'avouer à soi même, admettre à l'encontre de l'opinion qu'on avait, non sans quelques difficultés par rapport à la morale chrétienne. On reconnaît ses fautes, ses erreurs. On s'éveille pour ainsi dire.

Malebranche prend les termes extrême d'une série: la fierté et la modestie.

L'air de fierté et de brutalité: celui qui s'estime beaucoup exprime une certaine dureté dans ses rapports avec les autres et néglige assez l'estime des autres. Assez, signifie, de manière mesurée, sans excès. En effet son air exige une certaine reconnaissance des autres, mais celui qui présente l'air de fierté,ayant conscience de sa supériorité,croit mériter cette estime des autres et ne veut donc rien donner en échange.

L'air modeste: notez peu et assez. Appréciez les nuances: peu diffère de pas du tout car l'humilité est vérité et assez signifie pas trop. Nous sommes dans la mesure.

L'air grave: là encore il s'agit d'un homme qui s'estime beaucoup mais à la différence de l'air fier, cet donne désire être estimé et ne néglige pas du tout l'estime des autres. Il a l'air grave et le regard dans le lointain d'un gourou. Cela figure le mystère, la profondeur et suggère qu'il y a bien des richesses cachées à découvrir dans la fréquentation d'un homme qui a l'air grave. Une certaine réserve, un refus de l'exubérance ne laisse  que mieux deviner sa dignité.
Enfin l'air grave signifie aussi quelqu'un qui fait attention, qui respecte et donc qui prend en considération les autres dont il désire l'estime, ce qui est une certaine manière de les valoriser, même si c'est c'est en leur jetant de la poudre aux yeux, en sollicitant leur imagination.

L'air simple: sans fierté, sans prétention, sans apparat; franc, droit, direct: qui se prend et prend les autres comme ils sont: il accepte donc le donné et s'en contente. En conséquence il n'occupe pas son temps à prendre soin de lui ou des autres.

Ainsi: prendre garde à la simplicité de la loi. Elle est présentée comme la conclusion des deux premières parties: c'est une loi dont la simplicité donne la règle de composition de tous les différents airs.

=> L'air est un effet: d'une part des degrés de l'estime qu'on se porte à soi même et de celle qu'on porte à ceux avec qui l'on parle. Malebranche insiste: ce effet se produit naturellement comme expression du visage et de tout le corps. La cause occasionnelle n'est autre qu'un élément d'une machine. La machine suffit. 
Toute cause naturelle étant elle même effet, il faut détruire le concept de cause naturelle en la dépouillant de toute idée de création. Les causes naturelles ne sont rien d'autres que des effets liés à d'autres effets par des lois de la nature. Dans la nature il ne peut y avoir de causes productives, et ce que nous appelons causes n'est en réalité qu'une ou plusieurs conditions nécessaires à l'apparition d'un effet.

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