=> Il
faut donc, selon Malebranche, chercher l'origine de la force de
l'imagination, de son impact, de sa contagion, dans une force
exercée sur l'âme par l'intermédiaire du sensible.
Parce qu'elle anime le discours, l'imagination parle aux sens de
l'ouïe et de la vue: elle anime ce que dit l'orateur, elle
impressionne, séduit et produit chez celui qui voit et entend
une croyance: ce que je ressens est une propriété essentielle
du discours que j'entends. Celui qui confond alors le sensible
et l'intelligible se noie dans l'opinion, la confusion et la
fausseté. Celui qui parle si vivement, tel un professeur
enflammé, ne sait toujours pas ce qu'il dit, persuade
l'auditoire sans que l'auditoire sache de quoi il est persuadé
et produit donc une croyance sans contenu: puisqu'il ne savait
pas ce qu'il disait, comment pourrait-il en être autrement s'il
n'avait rien à dire d'esprit à esprit?
Normalement,
l'imagination n'offusque pas la distinction entre l'absence et
la présence puisqu'elle présente l'objet comme absent: la
vivacité est moindre que dans la sensation, cela l'amène à
croire que l'objet est absent de l'extériorité et intérieur
à sa pensée.
Mais, dans certains cas, la vivacité de l'influx est si intense
que l'imagination peut croire que les objets qu'elle imagine
sont présents devant elle et perdre le bon sens qui devrait lui
permettre de distinguer l'absence la présence, qui lui
permettrait de dominer ses rêveries en portant sur elles un
regard extérieur qui les réduit à l'intériorité d'une
pensée, au sens large du terme. C'est bien ce qui arrive à Don
Quichotte qui croit voir et rencontrer les objets de
ses rêveries. C'est bien ce qui arrive à Swann
et qui fonde ses illusions: ils sentent ce qu'ils devraient
imaginer, c'est à dire juger et apercevoir comme absent, comme
différent de la réalité présente.
Si
on admet que sensation et imagination ne diffèrent que du plus
et du moins, on admettra aisément que la force de l'imagination
tient à ce pouvoir d'imiter la sensation: dans la passion,
comme dans la fièvre, l'agitation des esprits animaux
atteindrait le degré qu'ils ont dans la sensation ce qui fait
que les passionnés sentent ce qu'ils devraient imaginer, et
finissent par souffrir leurs propres mensonges.
Ainsi l'imagination finit par obscurcir l'esprit d'examen et la
distinction entre le mensonge et la réalité:
"Peut-être aussi, à force de dire qu'elle serait malade,
y avait-il des moments où elle ne se rappelait plus que
c'était un mensonge et prenait une âme de malade." dit le
narrateur de madame Verdurin (Proust, Un amour de Swann, page
207).
=> Ce
qui est absent nous semble présent, ce qui est intérieur
semble extérieur, la puissance de l'imagination tient à sa
possibilité de va et vient. Un être charmé et fasciné croît
à la présence de ce qu'il imagine, son attention est
captivée, capturée avec la même force que s'il était
sollicité par ses sens
Vers
la page suivante: L'air
et les manières:
Propédeutique: cause
occasionnelle, cause efficace, cause totale
...
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