=> Rappelons
que les esprits animaux n'ont rien à voir avec l'esprit et
encore moins avec l'esprit d'examen. Les esprits animaux sont
une sorte de vent très subtils constitué par les plus petites
parties du sang qui montent continuellement en grande abondance
du coeur vers le cerveau pour se rendre de là par les nerfs
dans les muscles. De nos jours, on parlerait d'une sorte
d'influx nerveux.
On
mesure la force de tout ce qui se rattache aux impressions
sensibles, et combien l'agréable sera d'autant plus touchant
qu'il sera rattaché à des souvenirs d'impressions sensibles.
Cela nous le paierons fort cher, car nous serons plongés dans
le vraisemblable, dans le chatoiement de l'apparence au point
que nous oublierons de nous réveiller pour la recherche de la
vérité, et que nous finirons par nous incliner devant
l'autorité, ce qui frappe notre imagination. Au lieu de juger
en exerçant l'esprit d'examen, nous préjugerons en fonction de
ce qui nous a été agréable, en fonction de l'air et des
manières, en fonction de ce que l'on nous dit, au point de
devenir complètement fou, si le fou est celui qui voit par les
yeux des autres. Nous aurons peut-être l'intelligence des
êtres sensibles, mais cette intelligence ne peut servir qu'à
la survie, elle est de l'ordre de celle des prisonniers de la
caverne qui survivent grâce aux consécutions que leur mémoire
a emmagasinées.
=> Imaginer
revient à former des images des objets: cela consiste en fait
à suivre les traces que les esprits animaux ont faites dans le
cerveau lors des impressions sensibles. Comme ce sont les objets
extérieurs ou ce que l'âme a commandé qui ont déjà produit
ces traces, imaginer revient à suivre une ancienne route
tracée d'avance, à s'entourer d'une enceinte de préjugés
agréables assez semblables à ces ministres agréables qui
"isolent leur prince de la réalité" (page 29). On
finit par croire que la vérité est fille de l'autorité et non
pas d'un devenir, d'une recherche.
Ce
qui nous persuadera sera donc ce qui nous plaît, les
expressions pleines de vivacité, d'enthousiasme, qui tiennent
d'abord à la force de l'imagination de celui qui nous
entraîne. La contagion n'a rien à voir avec la conviction
fondée sur des raisons et sur des preuves, mais tient tout de
l'autorité de celui qui affirme sans raison et qui est telle
que nous le dispensons de donner des raisons, parce que nous
confondons l'air et les manières avec des raisons de croire;
nous dispensons le beau parleur de donner les raisons de ce
qu'il affirme. Prodigieux effet de cette contagion puisque nous
sommes persuadés sans même savoir les raisons et même, le
plus souvent, sans savoir de quoi nous sommes persuadés. L'âme
éprouve une passion, est aveuglée, sombre dans l'illusion qui
lui devient très chère car elle transforme ses désirs en
connaissance et ne demande qu'une attention spontanée, faire
attention en jouissant de la vivacité des impressions
sensibles, de la facilité du vraisemblable et de la sécurité
des habitudes
Vers
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de vivacité (3)
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