=> Selon
qu'on parle de force ou de puissance de l'imagination,
on adopte deux points de vue différents, celui de la passion et
celui de l'action, mais on parle d'une seule et même chose.
Peut-on réduire l'imagination à ce qui provoque une passion,
ce qui explique sa contagion, ou l'imagination n'est-elle pas
une capacité qu'il suffit de maîtriser pour exercer un
pouvoir? Ne faut-il pas avec Malebranche distinguer une
imagination passive et une imagination active?
=> S'il
s'agit de force de l'imagination, quel est son point
d'application? Toute force ayant un effet, elle est toujours
condition d'une passion en s'appliquant sur un corps animé, par
l'impression qu'elle fait. La force est ce qui fait mouvoir ou
tend à faire mouvoir un corps par l'effet exercé à partir
d'un point d'application, selon un enchaînement mécanique.
C'est selon un mécanisme que les forces jouent sans que la
volonté n'intervienne; même si cela se fait en l'homme, cela
se fait sans sa volonté selon un mécanisme qui ne relève pas
de la conscience: ainsi chacun peut-il lire sur le visage de
celui qu'il rencontre l'effet, l'impression qu'il produit sur
lui.
=> Toute
passion, au-dedans, est selon Malebranche, mouvement des nerfs:
les nerfs sont en sympathie et en correspondance, si bien que
toute passion au-dedans paraît au-dehors par la transmission du
mouvement des nerfs, modifiant l'expression des yeux, de la
bouche et des autres parties du visage qui sont mues selon un
enchaînement de "causes" à effets; un peu comme
lorsque l'on agite le bout d'une corde, par transmission,
l'autre bout s'agite. L'expression est donc d'abord le résultat
d'une impression et d'un transfert de mouvement: à chaque
mouvement au dedans correspond, comme l'effet correspond à la
"cause", un mouvement, une expression, "un
air".
Aujourd'hui
on parlerait avec Bergson d'un schéma sensori-moteur (Bergson,
Essai sur les données immédiates de la conscience, chapitre
premier).
A
la page 45 de l'édition Pocket, Malebranche affirme: "Tout
se fait par machine".
On comprend pourquoi "Il est très difficile de ne rien
donner (=
accorder, suivre) à
l'air et aux manières" (Ibidem, page 116) de ceux qui
nous parlent, puisque les impressions nous disposent de telle ou
telle manière en fonction de "l'effet" que
l'air et les manières enflammés produisent sur nous:
si la grâce de la personne qui vient vers nous, prédispose à
la sympathie, à la confiance, à prendre la parole pour tout
dire et tout accorder, "une mine impérieuse, fière
et grave nous stupéfait" au point de nous faire
perdre la parole.
=> "Ainsi
après plusieurs contrecoups de ces expressions sensibles, notre
air et nos manières se fixent enfin dans l'état que la
personne qui domine le souhaite" (Édition Pocket, éclaircissements,
page 247). Comment dire autrement que l'expression vive et animée
de celui que l'imagination enflamme produit, "cause"
une impression qui nous dispose de telle ou telle manière,
nous enflamme, nous met donc dans l'état que l'orateur
souhaite?
Cela nous oriente vers une étude, un examen, du sens que
Malebranche donne à l'air, à la manière et
aux manières, car c'est peut-être ce qui assure la
transmission, la contagion, et donc fonde en un certain sens la
force de l'imagination;car si l'imagination restait limitée à
un individu sa force ne serait pas bien grande: c'est
parce qu'elle se transmet aux autres sans qu'ils en aient
conscience que l'imagination, en exerçant sa force peut
devenir redoutable.
Pour
cela il nous faudra bien distinguer: cause
"occasionnelle"; cause efficace ou cause totale.
Vers
la page suivante: Question
de vivacité
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