=> Commençons
par ce texte qui doit nous détourner de croire que Malebranche
méprise l'imagination.
"Ce n'est pas un défaut que
d'avoir le cerveau propre pour imaginer fortement les
choses, et recevoir des images très distinctes et très
vives des objets les moins considérables pourvu
que l'âme demeure toujours la maîtresse de
l'imagination, que ces images s'impriment par ses
ordres, et qu'elles s'effacent quand il lui plaît.
C'est au contraire l'origine de la finesse et de
la force de l'esprit. Mais lorsque
l'imagination domine sur l'âme, et que sans attendre
les ordres de la volonté ces traces se forment par la
disposition du cerveau, et par l'action des objets et
des esprits (animaux), il est visible que c'est une très
mauvaise qualité et une espèce de folie."
(Livre
second, troisième partie, chap.IV, page 155)
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=> Comme
Platon qui met en ordre les puissances de l'âme que sont le
coeur et les appétits, en les soumettant à la pensée, de même
Malebranche veut que l'imagination soit soumise à la puissance
de l'âme qu'est la raison; que, loin d'être dominée par
l'imagination, l'âme reste libre d'utiliser l'imagination,
d'imaginer ou de ne plus imaginer, selon son gré.
La puissance de l'imagination tient à une disposition du
cerveau, sa capacité à retenir les images, à en être marqué
profondément au point de fixer l'attention comme si la
conscience était ordonnée à ce que représentent
les images au point d'être "absorbée", et, comme
Swann de ne plus pouvoir penser à rien d'autre.
=> Il
y a une démission de l'âme qui se laisse aller à préférer
la passion, la vivacité du sensible ou de l'imaginatif, à la
froide raison. C'est préférer en effet la passion à la
raison, préférer l'existence et la vie, préférer la réalité
des choses à travers des images qui donnent au monde, croit-on,
du relief et du goût, la moindre des choses, le moindre petit
brin de paille, prenant une importance démesurée par la
puissance de l'imagination.
=> Ce
n'est pourtant pas mépriser l'imagination que d'en faire
l'origine de la finesse, du pouvoir de distinguer intuitivement
ce que le discours entoure et ignore, et de la force, du pouvoir
de création de l'esprit. Cela implique seulement que la volonté
éclairée par l'esprit soit maître de des puissances de
l'imagination et en aucun cas ne lui laisse remplacer le concept
par l'image.
Comprenons que le danger de l'imagination doit et peut rester en
puissance: il ne doit pas passer à l'acte,se manifester. Cela
signifie que l'esprit ne doit jamais baisser la garde devant
celle qui risque toujours de devenir "la folle du
logis". Avec fermeté, Malebranche lance un rappel à
l'ordre hiérarchique.
=> Et
certes, la puissance de l'imagination tient à la vie quelle
insuffle en animant les relations aux choses.
Elle
les rend intéressantes, désirables et indique du même coup un
objet au désir qui ne savait pas quel était son objet: laissée
à elle même elle n'est plus que le canal des passions
subies, le relais par lequel s'amplifie l'action des objets et
des esprits animaux. Dans ce dernier cas, si l'imagination n'est
pas un un défaut avéré, si elle apporte quelque chose,
ce n'est qu'une très mauvaise qualité, une figure de la folie,
une figure de la déraison: le refus de l'ordre selon lequel l'âme
pense et commande aux puissances de l'imagination et juge la
vivacité de la sensibilité.
=> Malgré
toutes les charges contre l'imagination, malgré la guerre que
Malebranche va mener dans le texte au programme contre cette
capacité à être affecté par ce qui ne devrait pas nous
affecter, cette capacité de donner sens à l'insignifiant, nous
devons dès le début reconnaître qu'il y a dans le texte de
Malebranche de quoi limiter les critiques adressées à
l'imagination: ce n'est pas l'imagination qui est critiquée
mais la place qu'elle usurpe chaque fois qu'elle domine
l'esprit, qu'elle remplace le concept par l'image dans
l'approche de la réalité: or on ne pense pas avec des images.
Les images sont tout juste bonnes à être utilisées pour la
survie. Les prisonniers de la caverne ne pensent pas, ils repèrent
simplement des consécutions., ce que les animaux font très
bien.
La
distinction entre l'imagination source de passion et
l'imagination source d'action nous sera précieuse.
Vers
la page suivante: La
force de l'imagination.
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