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« Puissances de l'imagination »

voie d'accès choisie: le pouvoir de l'imaginaire - par Joseph Llapasset

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  • L'imagination est-elle l'enfance de la raison?

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=> Entre l'enfant et l'adulte qu'il deviendra, on a coutume de dire qu'il y a eu une rupture, l'actualisation de la raison: l'âge de raison où il peut calculer les conséquences de ses actions, l'âge de la responsabilité morale où il peut rendre raison. Parler d'enfance de la raison pour désigner l'imagination c'est nier cette rupture radicale, c'est enraciner l'imagination dans la raison qui en serait, par exemple, une première figure, un chemin vers.
 L'imagination est-elle la reine des facultés, surtout lorsqu'elle est devenue imagination rationnelle, selon le processus du germe qui produit un arbre et des fruit? Si elle est devenue telle c'est que, comme l'enfant a eu en puissance des capacités, l'imagination avait en puissance le concept, les idées et la raison. Pour établir cela il faudrait cerner l'entéléchie, le processus d'actualisation et de perfectionnement selon laquelle  la raison en puissance dans l'imagination s'actualise en imagination rationnelle.

=> La raison: de quoi parlons-nous? D'un instrument, d'une capacité, d'une puissance propre à l'homme ou bien de l'usage qu'il en fait dans divers domaines d'application, par exemple en politique ou en mathématiques ou en amour.
Une piste de lecture: G. Halton, La science et l'âme du monde, Imago, 1983, page 80.
Les découvertes qui sont présentées comme, pour ainsi dire, senties à l'avance, devinées par le chercheur en fonction de son enfance et des sources de l'imaginaire qui se sont constituées: l'étude porte en particulier, sur Newton, Niels, Bohr, Einstein. Par exemple, on découvre que Niels Bohr avait nourri ses rêveries des propos enflammés d'un ami de ses parents qui imaginait rationnellement que la conscience épousait le vol d'un oiseau qui ne manquait pas de se poser entre deux vols. (= continuité et discontinuité du courant de conscience). Autre piste: l'enfance de Kierkegaard ou celle de Chateaubriand. La même étude peut être faite de la désillusion de Don Quichotte quand il prend conscience de sa naïveté et qui utilise enfin sa raison pour distinguer ce qui est présent et ce qui est absent. Pour faire cette distinction il faut bien s'enraciner dans l'imagination qui présente l'objet comme absent.

=> La raison scientifique moderne, malgré sa précision et ses calculs use et abuse de l'image: des ondes, des corpuscules qui sont l'actualisation d'objets imaginaires. Mais, en toute conscience de cela, l'image n'étant qu'un tremplin pour une future abstraction.
On pourrait aussi penser au mythe et à la science et cerner quoi la logique du mythe se retrouve transfigurée et débarrassée de sa naïveté dans la science.

=> Plus précisément on peut s'interroger en quoi la raison peut-elle être caractérisée comme actualisation du mouvement propre à l'imagination. Notons que la raison est la faculté des idées, de s'élever à des idées régulatrices à quoi rien de sensible ne correspond. Sans la dimension de l'absence, de la distance reconnue, comment la raison pourrait-elle s'exercer. Sans la transfiguration de l'infinité de l'imagination, comment la raison pourrait-elle se décentrer et où trouverait-elle son dynamisme?

La raison n'est-elle pas fécondée par la déraison pour peu que la déraison devienne consciente d'elle même? Ainsi la raison accèderait à la sagesse sans pour cela se dessécher en scientisme. Toujours ce pourquoi pas, ce comme si qui n'est que l'actualisation de l'imagination, sa mise en forme dans ce que nous appelons raison. La déraison ne couronne-t-elle pas la raison lorsque l'hypothèse la plus folle est confirmée.

=> L'imagination à l'origine de l'âge de raison: comment prendre en compte l'intérêt général sans s'imaginer à la place des autres? Comment se sentir responsable sans imaginer (calculer) les conséquences de ses actes? Comment choisir sans calculer, comment choisir sans imaginer plusieurs chemins absents et autres que ceux que la société demande de suivre? Comment affirmer l'égalité des hommes sans imaginer rationnellement un Dieu créateur dont ils sont les enfants?

Don Quichotte: dans la lucidité de la raison il y a bien, à l'origine, la déraison qui devient consciente de ce qu'elle est, qui perd sa naïveté, grâce à ce regard réflexif qui accompagne les rêveries les plus folles. Or l'imagination implique toujours, dès l'enfance, ce regard qui fait dire en plein jeu, c'est pour du rire. Quand cette lucidité disparaît, l'imagination et la raison disparaissent avec le bon sens, l'imagination devient déraison, naïveté, qui confond ce qui est absent avec ce qui est présent, ce que l'on imagine et ce que l'on voit. Alors la raison n'est plus raison au sens propre, n'est plus l'actualisation des potentialités de l'imagination, elle s'est dégradée en hallucination où ce qui revient au même en scientisme.
En lisant Don quichotte, prenons garde à la bonté: elle a pour fondement une raison fécondée par l'imagination. Sancho Pansa, par exemple se décentre et imagine la souffrance de son maître, il le supplie de repartir avec lui, au point de s'oublier lui même. Ainsi l'amour, couronnement de la raison se nourrit de sacrifice et d'imagination, pour un monde pleinement humain.
Même processus quand Don Quichotte prend la défense des prisonniers, de ceux qui ont été volés...

Malebranche multiplie les formules qui permettent de répondre non à la question posée. Mais quelle est cette imagination qui fait la force de l'esprit dont il nous parle?

Proust: parce que tout est imaginaire, qu'on aime jamais que soi, la raison est ou bien l'épigone de l'imagination ou bien, dans le meilleur des cas, n'est que ce qui impose un conformisme au service de l'imagination, de l'orgueil, de l'imitation, ( le temps retrouvé, qui n'est pas au programme marque le retour et le triomphe de la sagesse dans la prise de conscience de la naïveté: le retour à l'imagination telle qu'elle est).

=> L'imagination est donnée à la jeunesse et s'actualise dans l'imagination rationnelle grâce à l'esprit critique sans lequel elle se perdrait en perdant sa fécondité.

"l'image sur le chemin de l'abstraction et de la généralisation; elle est sur le chemin de l'idée." Meyerson.

On peut être surpris que le programme ne prenne pas en compte la désillusion de Don Quichotte et de l'auteur / narrateur de La recherche...
C'est peut-être que le retour à la raison ne concerne pas le programme. Pourtant cela éclaire bien l'imagination. Ce sujet vous invitait peut-être à lire les deux oeuvres

Bonne continuation