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Le salut passera par la désillusion,
la grâce de la conversion du regard qui se portera avec humilité
sur soi et sur la réalité: au pouvoir de
l'imaginaire seule peut s'opposer la vérité de l'humilité,
non pas l'humilité rampante simple figure de l'orgueil, mais
l'esprit d'humilité qui est vérité et par qui nous cessons de
croire à l'objectivité de ce dont nous avons rempli la réalité
par nos rêveries glorieuses et orgueilleuses.
Seul
l'esprit d'humilité éclairé par la vérité peut en effet démolir
ce que le pouvoir de l'imaginaire a produit, cet esprit
d'humilité reconnue qui, nous le verrons, transit tout le
prologue de Don Quichotte ou encore des dernières pages de la
Recherche du temps perdu où éclate une joie, la joie d'avoir
compris et de s'être mis sous l'éclairage de la vérité.
S'il
faut aimer même les orgueilleux, c'est que, en renonçant à
les vaincre par un plus puissant orgueil, on renonce du même
coup à les humilier: l'amour véritable rend l'orgueil inutile.
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Ce qui donne un tel pouvoir à
l'imaginaire, c'est que tout d'abord pour
reprendre une affirmation de Kant, le sujet ne retrouve dans
l'objet que ce qu'il y a mis: . je vois le monde tel que je suis
ou, si l'on préfère l'environnement se découpe selon l'être
de culture qu'est l'homme, la culture incluant l'imaginaire.
Toute observation est donc construite par l'observateur.
Si le concept déterminant
l'intuition sensible est offusqué par l'imaginaire, c'est que
la connaissance devient impossible parce que l'objet apparaîtra
en fonction de l'imaginaire qui d'une certaine manière le
remplit. Par là est fondé le pouvoir de l'imaginaire d'étendre
la mesure du possible et de représenter au désir le fantasme
qui l'exacerbe comme réalisation effectivement présente et
pouvant être consommée. L'objet imaginaire, par le miracle du
regard, finit par recouvrir la réalité de l'objet. Ainsi Swann
voit les reflets de Botticelli dans la prosaïque et facile
Odette et Don Quichotte confond ses rêveries avec la rencontre
réelle d'une servante dont il ne voit même plus la malpropreté
repoussante.
Cela en dépit des résistances de la réalité
et des rappels à la réalité patiemment relancés par son écuyer.
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Le pouvoir de l'imaginaire
tient donc à ce qu'il peut représenter autre chose que la réalité
et cet autre chose que la réalité, semble plus apte à
satisfaire le désir que ne le fait la réalité.
Ainsi Le Clézio enfant de la guerre et de ses tickets de
rationnement aurait inventé un monde imaginaire dont il ne peut
se débarrasser puisque renoncer au désir c'est du même coup
renoncer à vivre avec autrui, renoncer à paraître, au
mensonge romantique. La tentation est grande, pour l'auteur de
se présenter comme un génie précoce qui aurait écrit entre
trois et quatre ans derrière les tickets de rationnement: au
risque de confondre ,à 65 ans passés, l'imaginaire et le réel
:cédant à l'orgueil d'imiter Mozart?
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Vers: L'imagination
et l'imaginaire: Noèse / Noème / Corrélatif (Sartre)
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