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« Puissances de l'imagination »

(voie d'accès choisie: le pouvoir de l'imaginaire - Perspectives par Joseph Llapasset)

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Cervantès, Don Quichotte (début) 

Sur le chapitre second: La sortie de l'ingénieux Don Quichotte (suite)

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=> Puissance de compréhension et d'incompréhension (pages 62 à 67)

La puissance de l'imagination c'est d'abord sa faculté d'irréalisation qui lui permet d'étendre la mesure du possible en représentant comme réalisable ce qui ne l'est pas aux yeux du bon sens: l'intelligence dit par quel moyen, la raison écarte le contradictoire alors que l'imagination dit "pourquoi pas, tout est possible: à coeur vaillant rien d'impossible!" Que l'on considère que Don Quichotte ne manque pas de vaillance.

Mais c'est aussi de créer, par son corrélat noématique l'imaginaire, un ordre ou culture Autre, qui permet aux membres de l'ordre, à ceux qui en acceptent les règles,  de se comprendre entre eux en imaginant ce que l'autre poursuit, en se mettant à sa place, grâce au plan de relations institué par des significations symboliques au fondement même de l'ordre auquel le membre appartient. Cet ordre, cette culture particulière  d'abord fermée sur elle même, cette possibilité de se comprendre, engendre  un problème, qui semble insoluble: comment ce qui est fermé sur soi peut-il s'ouvrir à ce qui n'est pas lui, à cet univers imaginaire auquel il n'a pas accès.

Don Quichotte est ce marginal dont l'imagination,nourrie d'une culture passée, se heurte à l'ordre social de son époque, au nom d'un imaginaire auquel il s'est identifié, auquel il s'est aliéné par ses lectures des romans de chevalerie et ses rêveries romantiques.

Il est donc livré:
- soit à une certaine compréhension de ceux qui auront lu quelques romans de chevalerie (c'est ainsi que l'hôtelier le comprend et lui répond, à la page 65: "Votre sommeil toujours veillé". Voir aussi au chapitre XXXII, page 369 et suivantes)

 

- soit, il est livré à une incompréhension rieuse de ceux qu'il rencontre, tempérée par la pitié pour son animalité d'être sensible qui souffre de la fatigue, de la faim et de la soif.
Ainsi le marginal est celui qui s'avance en marge du contexte, nourrit d'un imaginaire du passé ou d'un imaginaire orienté vers un nouvel ordre, toujours en opposition et décalé par rapport au monde qu'il rencontre. En ce sens, Don Quichotte est donc ce marginal qui anticipe la merveilleuse histoire par laquelle un sage saura faire le récit de la route qu'il va tracer, des prodiges qu'il va accomplir. Or qu'est-ce que le prodige, sinon le miracle de l'imaginaire. 

Le merveilleux n'est-il pas ce qu'accomplissent les conquérant de l'impossible qui tracent cependant un chemin imaginaire vers ce qui doit être et qui bousculent l'époque pour la rappeler aux vraies valeurs.

=> Cervantès, avec la simplicité d'un grand classique, suggère des chemins entre les diverses sociétés et les diverses cultures. Si chacun érige son ordre imaginaire en critère universel, il exclut et s'exclut: aucun dialogue ne peut s'instaurer dans l'intériorité de la pensée comme dans les échanges verbaux avec autrui. Comment communiquer si dans chacun l'imaginaire a toujours déjà parlé? Comment chercher la vérité dans un dialogue si on ne se réfère pas au même ordre symbolique et si on croit posséder une vérité imaginaire. La lecture, fortement réhabilitée au chapitre XXXII, page 369, la tolérance, la pitié, le respect du fou irresponsable et des illuminations qui l'animent. La vraie vie est ailleurs, le marginal vient nous le rappeler: à défaut ce sont quelques lectures qu'un auditoire humble et modeste vient écouter pour se livrer entièrement au plaisir singulier de la rêverie.
"On se met à plus de trente autour de lui, et on l'écoute avec tant de plaisir qu'on oublie tous nos soucis. J'avoue ... que je resterais à écouter ces histoires la nuit et le jour." (page 359)

=> Voilà que Don Quichotte imagine non seulement la copie qui sera écrite selon son ordre, mais se met à l'apprécier, se situant ainsi doublement dans la marge, et dans la position de celui qui s'apprécie lui même, en s'attribuant tout le mérite de l'oeuvre. Le fou n'est-il pas celui qui se prend pour seul critère et refuse la balance intérieure de l'esprit, le doute sur soi qui le sauverait et les nombreuses objections qu'autrui est toujours prêt à lui adresser en le rappelant à la réalité de ce qu'il perçoit.

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