=> L'entreprise
de démolition menée par Cervantès suppose une psychologie de
l'illusion et une psychologie de la désillusion. Elle commence
dès le prologue puisque l'auteur se campe comme celui qui dénonce
l'imitation, l'orgueil,la rhétorique formelle de ses
contemporains et par dessous tout cela le pouvoir de
l'imaginaire: si la vérité est bien seule dans le monde de
l'imaginaire, celui des apparences trompeuses maniées par les
montreurs de marionnettes de l'époque, elle brillera de tout
son éclat lorsque l'humilité, le retour à soi et la
distinction de ce qui est et de ce qui n'est pas, auront ruiné
le fondement même des puissances trompeuses de l'imagination.
Autant la raison divague dans ses extravagances, autant elle est
assurée dans les limites de son domaine.
Il
faut bien mettre en évidence (psychologie de l'illusion) les
puissances de l'imagination ainsi que les subjectivités
prisonnières du pouvoir de l'imaginaire, pour démolir les
inventions chimériques en faisant apparaître (psychologie de
la désillusion) l'écart entre le délire des rêveries et les
résistances de la réalité. On prendra le lecteur à témoin.
=> Comme
chez Proust, on trouve cette constante selon laquelle tout défaut
a pour contrepartie une qualité grâce à laquelle on ne
doit jamais désespérer: l'amour a pour contrepartie la bonté
et le sacrifice, voilà pourquoi l'espérance n'est jamais déçue.
=> Tout
le prologue procède déjà à la dénonciation des puissances
de l'imagination en acte et donc du pouvoir de l'imaginaire:
- d'abord dans les écrits littéraires de l'époque qui ne
craignent le ridicule de prendre à témoin les anciens sur des
questions de chevaleries qu'ils ne connaissaient pas. On se
demande ce qu'ils pourront en dire!
- Ensuite, l'imposture va encore plus loin en appelant les
docteurs de l'église à rescousse. On les met souvent en
mauvaise compagnie. Que dire des références à la Bible, des
dictionnaires que sont les appendices d'un livre pour définir
ou pour commenter par des clichés certains termes qui se
suffisaient à eux mêmes.
=> Dans
tous ces comportements, dans toutes ces astuces qui n'ajoutent
rien à la valeur d'une oeuvre, il y a volonté de jeter de la
poudre aux yeux: l'adresse caractérise les ambitieux qui
utilisent l'imaginaire et sa puissance en croyant conquérir une
reconnaissance qu'ils ne méritent pas.
=> Ainsi
le prologue nous invite au dépouillement en se dépouillant,
chose très nécessaire pour saisir l'odyssée de l'illusion et
de la désillusion racontée. Nous devons passer du côté
de l'auteur pour ne jamais être dupes et pour rire
chaque fois que la mécanique est plaquée sur du vivant, chaque
fois que Don Quichotte tombe dans les filets d'une réalité qui
n'a rien à voir avec sa rêverie. L'auteur nous détourne de
cette folie qui consiste à vouloir exister dans l'imaginaire
des autres à s'enfoncer dans un rêve clos dans l'espoir insensé
d'obtenir un semblant d'éternité, une jouissance de
l'impossible.
Vers:
Don
Quichotte ...
Sur le chapitre premier ...Page
1 . Quand
la vraie vie est ailleurs.
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