=> Fantasque
et plein d'étranges pensées: la redondance, pour une
fois épargnée par la traductrice, insiste sur la bizarrerie: fantasque
signifie d'abord bizarre tandis que étrange fait signe
vers ce qui est bizarre, ce qui est hors du commun, original, en
apparence mal inséré dans le cadre social; on parlerait
maintenant de marginal. Mais l'étrange, ce n'est pas
l'absolument autre, c'est à la fois ce qui est en apparence
lointain et ce qu'une certaine sympathie nous rend prochain.
J'aurais souhaité: pour la deuxième fois le
verbe souhaiter est employé pour signifier la formation d'un
voeu qui ne s'est pas réalisé, comme si c'était l'intention
de l'auteur qui comptait, et non ce qu'il a effectivement fait:
une dédicace et des sonnets en tête de l'oeuvre.
Toute nue: réduite à elle même, à l'être
pour ainsi dire, sans ses ornements ajoutés qui n'ont pour but
que de faire paraître ce qui n'est pas, de nourrir l'imaginaire
des lecteurs, de leur faire croire à la réalité de ce qui est
irréel, comme par exemple de vanter la grandeur des relations
de l'auteur dans la mesure où il dédicace l'oeuvre à un Duc,
ou encore de faire croire à l'immensité de sa culture, à
l'ampleur de ses lectures comme si il avait tout lu. "Nue",
c'est à dire sans les vêtements qui n'ont pur but que de
flatter, d'exciter l'imagination par un imaginaire, le contraire
de ce qui est, surajouté. En ce sens on dira que la vérité
s'avance toute seule et toute nue parce qu'elle n'a besoin de
rien d'autre que d'elle même, comme dans un pur plaisir.
=> A
plusieurs reprises le prologue nous renseigne sur le dessein de
l'auteur: "Ruiner le crédit et l'autorité qu'ont dans
le monde les romans de chevalerie." (tome 1, page43);
"Démolir les inventions chimériques que sont les
romans de chevalerie." (tome1, page 42).
Ce
dessein n'est réalisable que si, du début à la fin, soucieux
de vérité, le romancier / narrateur porte un regard extérieur
sur le rêve et ses fantasmagories, ce qui le place sur le plan
de la recherche et de la démonstration de la vérité, ce qui
lui, permet sans cesse de dénoncer l'écart entre la rêverie
et la réalité, et, du même coup, les puissances de
l'imagination.
Son
pouvoir de faire délirer celui qui oublie la distinction entre
le réel et l'irréel, entre ce qu'il imagine et ce qui est, le
pouvoir d'offusquer la perception mais aussi le pouvoir de générer
cette bonté qui, plus d'une fois, fait rayonner Don Quichotte:
pas de pitié sans imagination. Le bon père Malebranche en
manquait: il battait en effet son chien et lorsque la bête
hurlait, il se contentait de dire, c'est une poulie qui grince .
=> Au
paraître dont la suffisance ne suffit jamais, Cervantès préfère
l'être réel qui, réduit à ses limites, se suffit pour peu
qu'il ait l'humilité de reconnaître ses insuffisance.
Paradoxalement cette humilité qui se détourne des mirages de
l'imaginaire, qui amène Cervantès dans le Prologue à renoncer
au pouvoir de l'imaginaire, à renoncer à paraître ce qu'il
n'est pas, cette humilité dans son repli s'appuie sur le socle
de l'être et peut alors donner une juste fierté, juste parce
n'ayant plus rien à voir avec l'imitation, le copiage et avec
l'orgueil, elle est bien ajustée à ce qui est.
Vers
la page suivante: Odyssee
d une illusion et d'une désillusion
|