Pour mettre de l'ordre
dans ce qui vous semble embrouillé , je vous propose de prendre
d'emblée le point de vue de l'empirisme pour qui l'origine des
idées n'est pas à chercher ailleurs que dans un processus
d'affaiblissement et d'association des impressions sensibles, un
peu comme un corps vivace deviendrait un fantôme sans nerfs...
Le rôle de la raison ne peut alors être le rôle d'un moteur,
dans un tel état d'affaiblissement. Elle est, au service
de la passion première et forte :scruter (par la relation de
cause à effet) tout ce qui est relié à un objet, à cet objet
qui, avec la fraîcheur d'une naissance explosive, a ouvert une
perspective en quelque sorte affective: celle d'un plaisir (ou
d'une peine) que l'objet nous ferait éprouver.
Dans la passion amoureuse, le passionné finit par aimer, par
association, tout ce qui lui rappelle l'objet de son amour ...
Ce qui fait que l'objet
de la passion ne nous est pas indifférent, ce n'est pas la pâle
raison, mais le fait premier que l'objet nous touche, qu'il nous
affecte et nous pousse à chercher à le saisir ... Voyez dans
la Princesse de Clèves: le Prince de Clèves éperdu, foudroyé
par Mademoiselle de Chartres n'a qu'une idée: savoir qui elle
est pour demander sa main et la posséder.
Plus tard la vertueuse Madame de Clèves ne pourra rien contre
sa passion elle même, elle pourra simplement refuser de lui céder
mais certainement pas lui enlever cette force qu'elle éprouvera
jusqu'à sa mort, puisque, refusant de la réaliser, elle ne
pourra lui échapper dans l'horrible vie quotidienne. L'horrible
vie quotidienne , elle seule, pourrait combattre sa passion par
une autre passion!
C'est que la
raison, selon Hume, ne peut rien contre la passion puisqu'elle
n'est pas du même ordre et qu'elle n'est pas de
l'ordre de ce qui peut motiver, de ce qui peut avoir une
quelconque influence. Ce n'est qu'un fantôme des impressions
premières qui a perdu leur force. La raison se contente donc
d'enregistrer la passion et de la servir comme un simple instrument.
La passion c'est le vent dans les voiles...
Celle qui va, va des pas emporté de l'amour
selon l'expression de Shakespeare.
Comment un instrument pourrait-il combattre ou dominer s'il lui
manque le vent du désir: si la raison réduite à elle même ne
peut produire une action, comment pourrait-elle gagner une
guerre en s'opposant à une volition, comment serait-elle préférée
à la verdeur d'une émotion ou d'une passion? Cette impulsion
qu'il lui faudrait, la raison est incapable de la faire naître
et par là elle aura toujours la volonté contre elle, loin
qu'elle puisse s'en faire une alliée.
Pour Hume, la raison n'est donc qu'une chambre d'enregistrement
parce qu'elle relève des idées et des jugements, pâles
reflets des impressions et des émotions.
Tout ce qu'elle pourra faire sera de réfléchir la passion, de
la faire accéder à la conscience de soi.
Ainsi Hume s'oppose à Platon, Pascal, Descartes.
Le problème reste: le
désir peut-il s'orienter vers le bien sans s'anéantir et
perdre toute sa force?