Dans
les lignes qui précèdent ce texte Lévinas évoque le choc
d’un visage qui parle et jette le doute sur une violence
naturelle, sans gêne et sans scrupules, qui fait vaciller
l’illusion du solipsisme et du même coup la croyance que
l'autre ne serait qu’obstacle ou moyen : l'Autre dont le
visage parle de l’invisible, alors même qu'il se tait, serait
alors le premier enseignement raisonnable, l’invitation à
l’égalité d’un juste échange où chacun donne et reçoit;
par là, la condition de tout enseignement: la liberté
naturelle de faire tout ce qu’on veut si on le peut se découvre
"arbitraire, coupable et timide" mais dans la
conscience de sa culpabilité elle lit sa liberté toujours
possible et découvre alors la responsabilité qui en découle.
"La
liberté s'inhibe alors non point comme heurtée par
une résistance, mais comme arbitraire, coupable et
timide; mais dans sa culpabilité elle s'élève à la
responsabilité. La contingence, c'est-à-dire
l'irrationnel, ne lui apparaît pas hors d'elle dans
l'autre, mais en elle. Ce n'est pas la limitation par
l'autre qui constitue la contingence, mais l'égoïsme,
comme injustifié par lui-même. La relation avec
Autrui comme relation avec sa transcendance - la
relation avec autrui qui met en question la brutale
spontanéité de sa destinée immanente, introduit en
moi ce qui n'était pas en moi. Mais cette
"action" sur ma liberté met précisément
fin à la violence et à la contingence et, dans ce
sens aussi, instaure la Raison."
E.
Lévinas Totalité et infini, Poche, page 223
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Contre
le pragmatisme qui réduit la raison à un calcul au service
d’une action orientée vers le simplement utile, Lévinas
restitue à la raison sa vraie fonction: s’élever à
l’universalité d’un discours rendu capable, par cette
assomption, de convaincre: source de communauté dans le projet
de vaincre ensemble (cum vincere) en chacun,
l’opinion qui ne veut entendre que le besoin ou le désir.
C’est
que le visage en figurant la profondeur du visible fait apparaître
autrui comme l’invisible source d’une parole, comme
l’origine d’un enseignement toujours possible: figure
d’autrui qui ne me contraint pas mais m’oblige à
m’imposer à moi même une retenue qui est maîtrise de soi:
entrer dans un échange de discours placés sous le signe de la
raison, de l’universalité:
c’est le passage du subjectif à l’objectif qui assure
l'intersubjectivité, en décentrant chaque interlocuteur de
l’opinion et des ailes du désir: chacun recevra son humanité
d’autrui qui l'appelle ainsi à cette maîtrise de soi
manifestant une double origine:
la raison pure la raison pratique.
La
prise en considération de l’autre est aussi instauration de
la raison comme si autrui était constitutif de ma conscience
psychologique et morale et marque l'irrationalité de la
violence incapable de se justifier.Cet aperçu a pour but de
vous convaincre que la lecture de Totalité et infini (Livre de
Poche) sera très utile à ceux qui étudient le thème Autrui.
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