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Le corps Classes prépas par J. Llapasset

Peut-on penser le corps ?

En deçà du je et du moi, le soi dans le corps.  Une tentative pour penser le corps.

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D'un côté, je connais le corps par la représentation: c'est le corps objet, je le connais comme je connais tous les objets: la détermination d'une intuition sensible par un concept. Mais, le corps en tant qu'il s'agit de mon corps, je le connais aussi par un "autre côté", celui de la puissance d'une volonté.

Je lève le bras quand je veux. A éprouver combien le corps semble obéir à la volonté, l'opinion "pense" immédiatement que le corps n'est qu'un instrument sans se douter un instant que, en transformant ses besoins en connaissances, elle ne fait que suivre inconsciemment ce corps qu'elle a ravalé un peu vite au simple rang d'instrument. Ce faisant, elle ignore la spécificité du corps propre et met le médiateur absolu qu'il est au rang d'objet donné dans la représentation: l'opinion valorise la conscience et la recherche de la vérité comme correspondance entre une représentation et ce qui est donné. La conscience se détourne du corps propre et s'interdit de jamais le penser autrement que comme ce qui apparaît "au bout" de l'acte de transcendance accompli par la conscience. Ce qui revient proprement à rester aveugle, à se fermer à la dimension de "l'autre côté" du corps.

Orientée vers la conservation de la vie, à la recherche du mécanisme sécurisant et de la finalité rassurante, la conscience ne voit que les forces réactives et à travers elle la vertu de soumission, l'obéissance, la prudence qui hante l'esclave parce qu'il a peur de mourir: elle reste aveugle à toute noblesse, agressivité, spontanéité, à tout ce qui ressemble à une joyeuse affirmation de soi.

Bien comprendre que les forces réactives dominées n'en agissent pas moins pour cela: toute force agit: la domination ne leur enlève rien de leur "quantité" mais les contraint seulement à exercer la quantité de la force autrement.
Ce que l'opinion, la conscience, la science positive ne veulent pas considérer dans leur volonté de gommer tout ce qui leur semble risqué, dangereux, aventureux, c'est qu'il y a toujours d'abord le corps, sans lequel d'ailleurs ils seraient muets.

Il y a toujours d'abord le corps et le soi dans le corps répète Nietzsche. Derrière les pensées et les sentiments il y a ce qui les rend possibles, ce qui les fait advenir, non pas quand "je" veux. C'est comme si les pensées et les sentiments (passion amoureuse, par exemple) venaient quand elles veulent, ce qui relègue le "je" à une simple fiction grammaticale (un sujet), et le "moi" à un simple effet de surface qui occulte ce qui l'habite.
L'idée la plus invraisemblable à l'opinion, à la pensée et à la science positive, celle qui ne leur viendra jamais à l'idée, surgit alors: pensées et sentiments ne sont plus ceux qui dirigeraient souverainement l'instrument du corps, ce sont des significations qui comme des instruments à interpréter sont "soufflées", pour ainsi dire,  par le corps et le soi, comme si le soi dans le corps voulait quelque chose.

L'affirmation: j'ai pensé cela, car je l'ai voulu devient alors ridicule de prétention. Bien plutôt, il faut poser la question du pourquoi de ces pensées et de ces sentiments: la réponse se trouve dans le soi qui exprime par leur intermédiaire qu'il veut quelque chose.

Pour penser le corps Nietzsche procède à un renversement total: ce que nous appelons le pire, ce que nous avons exclu du champ de notre pensée et de notre conscience, ce à quoi nous nous sommes rendus aveugles au point de nous identifier à un type d'homme fixé dans le ressentiment , c'est peut être le meilleur, c'est certainement ces forces actives qui,parce qu'elles déterminent ce qu'est le corps,doivent être prises en compte par celui qui veut penser le corps.

"Derrière tes pensées et tes sentiments, mon frère, se tient un puissant maître, un inconnu montreur de route -qui se nomme soi. En ton corps il habite, il est ton corps."
"Pour lui même le corps créateur créa l'esprit comme une main de son vouloir."
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Idées/ Gallimard, page 46.

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Joseph Llapasset ©