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Par exemple,
à Florence,
les fontainiers exerçaient un pouvoir en fonction d'un savoir: ils
savaient faire monter l'eau jusqu'à 10 mètres 33 dans un tube
où ils avaient fait le vide, mais ils n'avaient pas la science,
la connaissance justifiée par théorie et expérimentation du
processus par lequel l'eau montait ni de celui par lequel elle
s'arrêtait de monter.
Nous savons qu'il ne faut se mettre sous un arbre par temps
d'orage, seule la science pourrait dire comment cela fonctionne.
On peut bien savoir que l'on a une épine dans le pied, seule la
science peut établir qu'il s'agit en fait d'une tendinite avec
plus ou moins de calcification.
On a eu longtemps un savoir sur la folie, on a exercé le
pouvoir d'enfermer en fonction de ce savoir sans être capable
d'en rendre compte par un discours justifié.
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Si
c'est le petit nombre qui accède à la science, qui maîtrise
le langage mathématique, nous avons tous du savoir, ce qui nous
distingue de l'ignorant dans la mesure où nous avons vécu des
expériences et où nous avons été abreuvés d'une culture
portée par une langue qui impliquait une conception du monde.
Ainsi le Savoir présente un champ de connaissances empiriques mémorisées
ou transmises: des expériences qui ont frappé notre
imagination ou impressionné nos sens. Et cela suffit bien à
vivre comme à survivre de confondre ses impressions avec les
propriétés des choses.
Le
Savoir suffit à collecter un ensemble de pratiques, ensemble de
recettes qui donnent un certain pouvoir d'action, dont les éléments
sont juxtaposés et dans le meilleur des cas reliés par la
simple utilité sans qu'il soit besoin de justifier les liaisons
supposées de ces éléments, ni le pourquoi de leur efficacité.
Voir, interroger, écouter, désinfecter, ensemble de pratiques
faciles à maîtriser et qui permettent l'exercice d'un certain
pouvoir médical.
Le
Savoir n'est pas fondé sur une justification rationnelle et et
expérimentale, il est en fait fondé sur le pouvoir qu'il
assure: "ça marche". Il est ordonné au pouvoir et
non à un discours justifié. La caractéristique du savoir est
donc le pouvoir, de suffire à l'exercice d'un pouvoir mais de
ne pas se suffire à lui même car il est incapable de rendre
raison de la recette et de son succès. Parce qu'il ne se suffit
pas, il creuse un manque et laisse le champ libre au désir de vérité,
un espace ouvert dans lequel la Science trouve sa place et son
originalité.
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Parce
que la Science est une connaissance justifiée
qui accorde les modèles logiques et les systèmes réels, parce
qu'elle naît dans le champ d'un savoir dont
elle se distingue par son caractère opératoire et son
efficacité, la Science ne peut échapper au pouvoir qui ordonne
le savoir et l'oriente. Elle subit l'orientation du premier
terreau à partir duquel elle s'est constituée, même si elle
s'en est radicalement écartée.
Et certes, la Science par son ambition vise autre chose que
l'efficacité.
L'efficacité n'est pas ce qui l'ordonne, c'est bien plutôt la
science qui utilise l'efficacité comme critère de la
confirmation des théories qu'elle a rationnellement imaginée:
critère de son articulation à la réalité, comme instrument
de reconnaissance qui lui donne la certitude que ses modèles
logiques ne sont pas falsifiés par les données objectives
obtenues dans l'expérimentation. Loin d'être la servante du
pouvoir, elle en est théoriquement le maître. Le succès ou la
contrainte apparu dans une expérimentation c'est l'utilisation
du pouvoir comme instrument de reconnaissance.
Alors
que le savoir est simplement justifié par le pouvoir et par là
définitivement aliéné au pouvoir sous peine de perdre son
sens et son fondement, la Science à partir d'u milieu organisé
des savoirs transmis, se constitue par un mouvement qui lui est
propre, par des opérations de déduction, d'expérimentation,
d'évaluation, de critique, tout cela ayant pour fin la
justification ou la falsification de son discours.
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le Savoir et la Science = Suite page
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