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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

« La science »

Bacon, Novum organum, Livre I, 95: la fourmi, l'araignée, l'abeille

_____________  Perspectives par Joseph Llapasset   ______________

 

"L'empirique, semblable à la fourmi, se contente d'amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, telle l'araignée ourdit des toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L'abeille garde le milieu; elle tire la matière première des fleurs des champs, puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère.... Notre plus grande ressource, celle dont nous devons tout espérer, c'est l'étroite alliance de ses deux facultés: l'expérimentale et la rationnelle, union qui n'a point encore était formée."

 Bacon, Novum organum, Livre I, 95: la fourmi, l'araignée, l'abeille

Le conflit entre l'empirique (la fourmi) et le dogmatique (l'araignée) ne cesse de renaître au cours de l'histoire des sciences. Ainsi ce qui semble se fuir, la raison et la nature, reste paradoxalement l'un contre l'autre, comme des lutteurs qui se posent en s'opposant. Cela, jusqu'à ce que cette situation devienne intenable, à partir du moment où on expérimentera avec sa raison et où le réel de tous les jours sera remplacé par le réel scientifique. Un dialogue entre le théoricien et l'expérimentateur s'installera et nourrira le protocole expérimental. Dès lors le rationalisme appliqué témoignera d'un va et vient entre la théorie et l'expérimentation comparable au vol d'une abeille qui "comprend", prend ensemble, car elle féconde l'expérience et s'en trouve fécondée. 
A la guerre succèdera non seulement l'armistice mais encore la paix par une alliance que scelle la nécessité d'une étroite collaboration. En ce sens Bachelard écrira dans La rationalisme appliqué, à la page 4: "Il faut se placer au centre ... nous essayerons de nous installer dans cette position centrale où se manifesteront aussi bien un rationalisme appliqué qu'un matérialisme instruit." Un tel propos est l'horizon du texte de Bacon.

L'empirique, tel une fourmi, accumule des provisions, des expériences puisque selon lui l'expérience est la seule source de nos connaissances. Pour lui la loi est induite à partir de l'observation. En fait le plus souvent il se borne à observer et à empiler, à juxtaposer des consécutions comme les prisonniers de la caverne se bornent à mémoriser des enchaînements, ou peut-être même comme font les animaux. Dès lors pour l'empirique, connaître c'est reconnaître, ce qui lui permet de réduire la nouveauté d'une expérience à d'anciennes expériences. Cela, au sens de remplir l'esprit en se confiant à lui pour restituer ce dont il s'est rempli. L'appel à la mémoire est évident.

Le dogmatique (l'araignée) s'entoure de filets, tend autour de lui une toile de concepts dans laquelle et grâce à laquelle il espère déduire l'expérience et dans laquelle il s'enferme. Ce filet est tiré de la substance de l'esprit, c'est à dire de l'intelligibilité grâce à laquelle la raison voudrait emprisonner l'expérience, le relatif et le changeant, dans l'absolu d'un discours créateur. La toile est une image pour nous permettre d'entrer dans la véritable connaissance de la condition de la science. A la limite, l'existence serait déductible.

L'abeille. La science n'est pas plus issue de l'expérience quelle n'est issue de la théorie. Elle naît d'une rencontre, de la mise en relation de l'expérience avec un art.

"Tout espérer", tout attendre, le triomphe de la science et... des progrès.(=> Scientisme?)

"Union", c'est l'harmonie des contraire, la collaboration pour une oeuvre commune, une relation entre ce qui forme un ensemble organique, relation entre la raison et l'expérimentation qui formera un ensemble indissociable.
L'union est si étroite qu'il est impossible de dire que le réel scientifique ne prend pas en compte le réel vécu. C'est en effet sur le monde sensible et perçu que s'appuie l'existence comme dans le milieu  où elle se déploie jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Voilà pourquoi l'abeille ne peut être qu'au milieu, voilà pourquoi la théorie féconde l'expérimentation et est fécondée par l'expérimentation.

Comment comprendre une théorie actuelle sans réaliser qu'elle jaillit d'abord d'un obstacle rencontré par l'homme dans son expérience vécue? Si le problème naît d'un calcul déçu, il n'y a pas de problème sans théorie. Si l'expérimentation a pour but de comparer une observation réelle mesurable et une observation théorique déduite de la théorie, l'alliance de la faculté expérimentale et de  la rationnelle est devenue telle qu'il est impossible de les dissocier dans la génération d'un protocole expérimental cmme dans le déploiement théorique