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LA PAIX  Niveau Classes prépas. par J. Llapasset

 

KANT, Vers la paix perpétuelle:  

- Une distinction essentielle  (p 114 ) -

(Éditions GF Flammarion, n°573, pages 73 et 75). Toutes nos références renvoient à cette édition. traduction J-François Poirier et Françoise Proust.

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"Il se peut bien que les moralistes despotisants  (qui pèchent dans l'application) offensent de multiples manières la prudence politique (à cause des mesures préconisées ou prisent de manière précipitée): toutefois l'expérience doit, quand ils offensent ainsi la nature, les mettre peu à peu sur une meilleure voie; au contraire les politiques moralisants maquillent les principes politiques contraire au droit, et sous le prétexte que la nature humaine n'est pas capable du bien tel que la raison en prescrit l'idée, ils rendent impossible , pour autant que c'est en leur pouvoir, toute amélioration et perpétuent l'atteinte au droit." (page 114)

(Les éléments surlignés -par nous- font apparaître la forme du raisonnement)

Pour une justification de 1793 ? Kant a-t-il voulu justifier 1793 ? Quoiqu'il en soit Hugo, à la fin du XIX siècle a pu lire ce texte comme une justification et cela l'a marqué.

Distinguer deux parties dans ce texte: Kant oppose ("au contraire") les moralistes despotisants aux politiques moralisants: 
-pour les premiers c'est la raison pratique qui pose a priori et de manière absolue ce qui doit être, le devoir. -Pour les seconds c'est l'intérêt, ce qui est naturel, qui est premier, qui commande comme quand ils invoquent la raison d'état ou l'incapacité de la nature humaine à s'améliorer.
Les moralistes despotisants sont contredits par la nature chaque fois qu'ils se précipitent. Leurs échecs leur permet de s'améliorer progressivement comme dans la méthode expérimentale. Ils progressent.
Les politiques moralisants se contredisent aux-mêmes en présentant ce qui est comme ce qui doit être par un maquillage qui ne trompe personne.

Les moralistes despotisants
En tant que moralistes, leur point de départ est absolu, ce sont les purs principes du droit. Ils ne peuvent donc se tromper que dans l'application de la théorie, dans la connaissance des déterminismes naturels. Le progrès consistera en un ajustement progressif des moyens à la fin posée par la raison pratique: la paix comme liberté, égalité, fraternité. L'expérience des échecs les aidera. En mettant le droit au dessus de tout, ils lient en effet la liberté et la loi et affirment indépendamment de toute expérience que la liberté est la condition de la loi morale.
Beaucoup voient dans ce texte la justification prudente de 1893 et des révolutionnaires, en particulier de Robespierre. Parce qu'ils rapportent tout aux  purs principes du droit l'expérience ne peut que leur permettre d'apprendre à mieux agir, à ne pas offenser la nature en méconnaissant des mécanismes dont il faut tenir compte. Saint-Just ne regrettait-il pas dans son fameux discours de Vendémiaire: "La force des choses nous a menés là où nous n'avions pas pensé."?

Les politiques moralisants
Kant ne les aime pas du tout: ce sont ceux qui mettent la raison d'état ou la nature de l'homme toujours en avant: ce qui est une manière de mettre ce qui est au dessus de ce qui doit être: sans Idée régulatrice( la Paix posée comme fin par la raison pratique) qui permet de juger et d'améliorer, aucun  progrès n'est alors possible.
Prétendant que l'homme est méchant naturellement et que cette méchanceté ne peut être corrigée, ils transforment en institution la violation permanente du droit qui les avantage et règlent leur comportement sur ce qui est, et non sur ce qui doit être.

C'est donc la révolution française qui est réhabilitée (la Terreur n'étant que le résultat d'une précipitation) tandis que les "habiles" toujours prêts à ramper devant le pouvoir du moment, sont dénoncés avec vigueur et intelligence: ils maquillent, ils mentent dans leur art de fonder l'injustice pour lui donner l'apparence du droit qui n'est qu'une justice de circonstance, sans cesse à la merci de l'injustice.

Kant s'appuie sur les acquis de son oeuvre et en particulier sur la seconde critique, la critique de la raison pratique qui a établi que la condition de la loi morale c'est la liberté, que la loi morale est un savoir qui s'impose à nous, que la loi morale se soutient d'elle-même: elle se définit en effet par la conformité à l'idée de la loi puisqu'elle vaut universellement, pour tous les cas et pour tous les êtres raisonnables ce qui est la caractéristique essentielle de la loi, son universalité. La raison est pratique parce que capable de déterminée la volonté et de donner sa loi à l'action. Celui qui ruse en politique viole constamment le droit en réduisant l'homme à un mécanisme dont il croit se jouer longtemps: il décide de l'impossibilité de l'autonomie comme obéissance à la loi qu'on s'est prescrite, mais en maquillant, en fardant des principes contraires au droit, il rend hommage au droit et par là se contredit: le discours du politique moralisant est donc contradictoire comme un mensonge qui prétend s'engager et se dégager en même temps. c'est que, il est motivé par le simplement utile: il est donc condamné à la répétition du même, à perpétuer l'atteinte au droit.

Conclusion
Dès 1793 dans La religion dans les limites de la simple raison, quatrième partie, deuxième section, paragraphe 4,  note M, Kant se démarquait des jugements qui identifiaient Révolution française de 1789 et Terreur, et, en affirmant que le peuple n'était pas mur pour la liberté .D'une certaine manière Kant prenait déjà  la défense de la Révolution française en tentant non pas de justifier la Terreur (qui était une faute morale) mais, de justifier politiquement la Révolution.
La liberté est un droit, elle ne peut donc être refusée ce qui exclut le despotisme. Par ailleurs, ce qui limite la liberté à une simple fin, la projette dans un avenir qui recule sans cesse! Étant donné que la liberté est une conquête qui exige un exercice, la Fin est aussi le moyen de parvenir à la liberté. Dans ces conditions c'est un risque ( qui ne peut être refusé puisque c'est aussi un droit).
Dans la mesure où l'on  n' accède jamais à la liberté, comme autonomie, à partir de l'hétéronomie ( puisque dans l'hétéronomie le moyen, (= l'exercice de la liberté), ne peut être utilisé, il faut bien à un moment "casser" le lien, l'aliénation de l'hétéronomie, pour pouvoir "exercer" le moyen de la Fin. C'est ce que les révolutionnaires ont fait à partir de 1789. Dans la mesure où cette "guerre" est la condition de l'avènement de la paix comme liberté, égalité, fraternité, s'il y a une guerre juste, ce ne peut être que celle-là. L'œuvre de 1793( Kant) permet de comprendre la valeur que Victor Hugo reconnaît à la Révolution française dans Quatrevingt-treize: "Mais en 93, où nous sommes, les rues de Paris avaient encore tout l'aspect grandiose et farouche des commencements." Hugo, Quatrevingt-treize (Folio classique - 3513 - page 148). Lire aussi pages 154 et 155; pages 208 et 209