"Il
se peut bien que les moralistes
despotisants (qui pèchent dans
l'application) offensent de multiples manières la
prudence politique (à cause des mesures préconisées
ou prisent de manière précipitée):
toutefois l'expérience doit, quand ils
offensent ainsi la nature, les mettre peu à peu sur
une meilleure voie; au
contraire les politiques
moralisants maquillent les principes
politiques contraire au droit, et sous le prétexte
que la nature humaine n'est pas capable du bien tel
que la raison en prescrit l'idée, ils
rendent impossible , pour autant que c'est en
leur pouvoir, toute amélioration et perpétuent
l'atteinte au droit." (page 114)
(Les
éléments surlignés -par nous- font apparaître la
forme du raisonnement)
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Pour une justification de
1793 ? Kant a-t-il voulu justifier 1793 ? Quoiqu'il en soit
Hugo, à la fin du XIX siècle a pu lire ce texte comme une
justification et cela l'a marqué.
Distinguer
deux parties dans ce texte: Kant oppose ("au
contraire") les moralistes despotisants aux
politiques moralisants:
-pour les premiers c'est la raison pratique qui pose a priori
et de manière absolue ce qui doit être, le devoir. -Pour les
seconds c'est l'intérêt, ce qui est naturel, qui est
premier, qui commande comme quand ils invoquent la raison d'état
ou l'incapacité de la nature humaine à s'améliorer.
Les moralistes despotisants sont contredits
par la nature chaque fois qu'ils se précipitent. Leurs échecs
leur permet de s'améliorer progressivement comme dans la méthode
expérimentale. Ils progressent.
Les politiques moralisants se contredisent
aux-mêmes en présentant ce qui est comme ce qui doit être
par un maquillage qui ne trompe personne.
Les
moralistes despotisants -
En tant que moralistes, leur point de départ est absolu, ce
sont les purs principes du droit. Ils ne peuvent donc se
tromper que dans l'application de la théorie, dans la
connaissance des déterminismes naturels. Le progrès
consistera en un ajustement progressif des moyens à la fin
posée par la raison pratique: la paix comme liberté,
égalité, fraternité. L'expérience des échecs les
aidera. En mettant le droit au dessus de tout, ils lient en
effet la liberté et la loi et affirment indépendamment de
toute expérience que la liberté est la condition de la loi
morale.
Beaucoup voient dans ce texte la justification prudente de
1893 et des révolutionnaires, en particulier de Robespierre.
Parce qu'ils rapportent tout aux purs principes du
droit l'expérience ne peut que leur permettre
d'apprendre à mieux agir, à ne pas offenser la nature en méconnaissant
des mécanismes dont il faut tenir compte. Saint-Just ne
regrettait-il pas dans son fameux discours de Vendémiaire:
"La force des choses nous a menés là où nous n'avions
pas pensé."?
Les
politiques moralisants -
Kant ne les aime pas du tout: ce sont ceux qui mettent la raison
d'état ou la nature de l'homme toujours en avant: ce qui
est une manière de mettre ce qui est au dessus de ce qui doit
être: sans Idée régulatrice( la Paix posée comme fin par
la raison pratique) qui permet de juger et d'améliorer, aucun
progrès n'est alors possible.
Prétendant que l'homme est méchant naturellement et que
cette méchanceté ne peut être corrigée, ils transforment
en institution la violation permanente du droit qui les
avantage et règlent leur comportement sur ce qui est, et non
sur ce qui doit être.
C'est
donc la révolution française qui est réhabilitée
(la Terreur n'étant que le résultat d'une
précipitation) tandis que les "habiles" toujours prêts
à ramper devant le pouvoir du moment, sont dénoncés avec
vigueur et intelligence: ils maquillent, ils mentent dans leur
art de fonder l'injustice pour lui donner l'apparence du droit
qui n'est qu'une justice de circonstance, sans cesse à la
merci de l'injustice.
Kant
s'appuie sur les acquis de son oeuvre et en particulier sur la
seconde critique, la critique de la raison
pratique qui a établi que la condition de la loi morale c'est
la liberté, que la loi morale est un savoir qui s'impose à
nous, que la loi morale se soutient d'elle-même: elle se définit
en effet par la conformité à l'idée de la loi puisqu'elle
vaut universellement, pour tous les cas et pour tous les êtres
raisonnables ce qui est la caractéristique essentielle de la
loi, son universalité. La raison est pratique parce que
capable de déterminée la volonté et de donner sa loi à
l'action. Celui qui ruse en politique viole constamment le
droit en réduisant l'homme à un mécanisme dont il croit se
jouer longtemps: il décide de l'impossibilité de l'autonomie
comme obéissance à la loi qu'on s'est prescrite, mais en
maquillant, en fardant des principes contraires au droit, il
rend hommage au droit et par là se contredit: le discours du politique
moralisant est donc contradictoire comme un mensonge
qui prétend s'engager et se dégager en même temps. c'est
que, il est motivé par le simplement utile: il est donc
condamné à la répétition du même, à perpétuer
l'atteinte au droit.
Conclusion
Dès 1793 dans La religion dans les
limites de la simple raison, quatrième partie, deuxième
section, paragraphe 4, note M, Kant se démarquait des
jugements qui identifiaient Révolution française de 1789 et
Terreur, et, en affirmant que le peuple n'était pas mur pour
la liberté .D'une certaine manière Kant prenait déjà
la défense de la Révolution française en tentant non pas de
justifier la Terreur (qui était une faute morale) mais, de
justifier politiquement la Révolution.
La liberté est un droit, elle ne peut donc être refusée ce
qui exclut le despotisme. Par ailleurs, ce qui limite la
liberté à une simple fin, la projette dans un avenir qui
recule sans cesse! Étant donné que la liberté est une conquête
qui exige un exercice, la Fin est aussi le
moyen de parvenir à la liberté. Dans ces
conditions c'est un risque ( qui ne peut être refusé puisque
c'est aussi un droit).
Dans la mesure où l'on n' accède jamais à la liberté,
comme autonomie, à partir de l'hétéronomie ( puisque dans
l'hétéronomie le moyen, (= l'exercice de la liberté), ne
peut être utilisé, il faut bien à un moment
"casser" le lien, l'aliénation de l'hétéronomie,
pour pouvoir "exercer" le moyen de la Fin. C'est ce
que les révolutionnaires ont fait à partir de 1789. Dans la
mesure où cette "guerre" est la condition de l'avènement
de la paix comme liberté, égalité,
fraternité, s'il y a une guerre juste, ce ne peut être
que celle-là. L'œuvre de 1793( Kant) permet de
comprendre la valeur que Victor Hugo reconnaît à la Révolution
française dans Quatrevingt-treize: "Mais en 93, où
nous sommes, les rues de Paris avaient encore tout l'aspect
grandiose et farouche des commencements." Hugo,
Quatrevingt-treize (Folio classique - 3513 - page 148). Lire
aussi pages 154 et 155; pages 208 et 209
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