Certes,
s'il
n'y a pas de liberté et pas de loi morale fondée
sur elle, mais si
tout ce qui arrive ou peut arriver n'est
que simple mécanisme de la nature, alors
la politique (en tant qu'art d'utiliser ce mécanisme
pour gouverner les hommes) est toute la sagesse
pratique et le concept de droit est une idée
creuse. Mais
si on considère d'une nécessité inévitable
de lier ce concept avec la politique, voire de l'élever
à une condition restrictive de la politique, alors
il faut admettre la possibilité de
leur réunion. Or
je peux bien concevoir un politique moral,
c'est-à-dire quelqu'un qui considère que les
principes de la prudence politique peuvent coexister
avec la morale,
mais non pas un moraliste politique
qui se forge une morale qui soit profitable à l'intérêt
de l'homme d'État.( p 112 )
(Les
éléments surlignés -par nous- font apparaître la
forme du raisonnement)
|
Ce paragraphe établit la thèse
essentielle de Kant par un raisonnement apagogique c'est
à dire qui conduit vers une conclusion à partir
d'une hypothèse: si ... alors ... En logique apagogique désigne
une forme du raisonnement par l'absurde. Il s'agit d'établir
par démonstration, de manière indiscutable , que celui qui
n'admet pas la proposition à démontrer (s'il faut que la
politique se règle sur le droit, il faut au moins admettre la
possibilité de leur réunion) s'enferre dans des conséquences
impossibles à maintenir et se voit contraint de prendre pour
point de départ une absurdité: la réduction de
l'homme au seul règne du déterminisme naturel: nier
la proposition à démontrer revient à tenter vainement de
concevoir un principe universel qui ne s'appliquerait pas dans
tous les cas! "Ce serait un principe creux car les
"exceptions" détruiraient "l'universalité à
laquelle seule ils doivent leur nom de principes" Kant La
métaphysique des mœurs, doctrine de la Vertu.
(Page 256)
Il est
possible de distinguer trois moments de ce paragraphe:
-
Première partie et deuxième partie sous forme de tableau
pour pouvoir les comparer.
Certes
: (évidemment), si on fait une hypothèse absurde
==>
|
Point
de départ : une hypothèse
qui nie la liberté et donc la possibilité de la loi
morale: "s'il" ==>
|
Alors
: déduction de
l'hypothèse: la politique serait une simple habileté,
le bon usage du déterminisme naturel auquel selon
l'hypothèse les hommes seraient soumis: par exemple
mentir, forcer, s'adresser aux intérêts: ruser
==>
|
"Simple"
nie la dualité de l'homme, être raisonnable
sensiblement affecté : capable d'agir par la représentation
d'une loi.
|
Mais:
(au contraire)
|
Point
de départ : la prise
en considération d'un principe nécessaire et donc inévitable.==>
|
Alors
: déduction nécessaire
:"il faut" : on ne peut
faire autrement que d'admettre la possibilité d'une réunion
de la politique et de la morale. La réunion demande
une action, une volonté de l'homme politique.==>
|
La réunion
de la politique aux principes du droit fondés en
morale n'est pas analytique(ma politique est morale!)
mais synthétique. Cela fonde l'argumentation de la
troisième partie. ==>
|
-
Troisième partie
"Or"
introduit un argument. Concevoir, c'est saisir, prendre
ensemble. Le contradictoire ne peut être pris ensemble:
- Ce qui peut être conçu c'est que le
politique soit soucieux du devoir de se régler sur le droit
et donc attentif à corriger un vice chaque fois qu'il se présente.
La liaison politique et droit moral se fait par la liberté et
la volonté de l'homme d'état. Il n'y a aucune contradiction
à chercher à faire exister ensemble une politique prudente
et la morale.
- Ce qui ne peut être conçu, que la moralité
soit déduite analytiquement de la politique car c'est vouloir
réunir ce qui se fuit: les intérêts (de l'ordre de l'impératif
hypothétique) et une morale (de l'ordre de l'impératif catégorique).
En réalité, "se forger une morale" c'est ajuster
la morale à des circonstances particulières et lui enlever
son caractère d'universalité. c'est le pragmatisme: Kant,
adversaire de Machiavel.
Bien suivre
le sens du texte.
- "S'il
n'y a pas" : nier la liberté et la loi morale, la
possibilité d'agir par la représentation d'une loi,
réduit effectivement (certes ...) l'homme au déterminisme
naturel. En lui enlevant tout ce qui fait sa dignité, on
exclut la possibilité que "le peuple devienne réceptif
à l'influence de la simple idée de l'autorité de la loi."
(page 113). On identifie les hommes à des mécanismes
perfectionnés: la connaissance de ces mécanismes permettra
de les déterminer. La politique devient un art, une habileté:
le savoir donnera un pouvoir.
- De l'hypothèse
on a déduit que le politique ne peut être que pragmatiste,
que la fin justifie les moyens et que celui qui s'occupe de ce
qui doit être ne tardera pas à disparaître. Au contraire,
celui qui s'occupe de ce qui est devra manier avec subtilité
le mensonge.
- Pour Kant toutes ces déductions s'effondrent car elles
partent d'une hypothèse absurde: l'homme comme être
raisonnable sensiblement affecté n'est pas
"simple", il est aussi une personne, une fin en soi.
- "Moraliste
politique" : un moraliste politique n'est en fait
qu'un politique simple: au lieu de chercher à accorder sa
conduite avec la loi morale, il croit tourner la difficulté
en produisant sa propre morale en fonction des circonstances
et surtout en fonction de ce qui lui va bien. Raison d'état
est une expression qui vient toujours dans ses discours (bonne
lecture de vacances: Michel Henry, Le cadavre indiscret).
Le moraliste politique est donc inconcevable puisque, en réduisant
la morale à sa politique, il fait perdre à la morale sa
caractéristique essentielle, l'universalité. Il y a un
mot de trop: moraliste. C'est un politique qui jette de la
poudre aux yeux, comme s'il était possible de déduire
analytiquement la morale de la politique. Par contre, un
politique moral peut être conçu: on distingue les deux
termes et on évoque la possibilité d'une liaison synthétique,
d'une réunion qui est, pour ainsi dire ajoutée de l'extérieur
par la volonté de l'homme politique.
Dans ce petit
paragraphe Kant s'oriente vers l'établissement de sa
principale thèse: "Il ne faut pas que le droit se règle
sur la politique: mais bien que la politique se règle sur le
droit" Doctrine de la Vertu, page 255. A la fin
de son parcours (page 123): il pourra affirmer "il
faut que toute politique plie le genou devant le droit."
==> Voir l'explication de texte Morale, Droit,
politique. (fin de l'appendice I lien sur la page
d'accueil de La paix)
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