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LA PAIX  Niveau Classes prépas. par J. Llapasset

 

KANT, Vers la paix perpétuelle:  

La thèse essentielle de Kant (p 112 )

(Éditions GF Flammarion, n°573, pages 73 et 75). Toutes nos références renvoient à cette édition. traduction J-François Poirier et Françoise Proust.

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Certes, s'il n'y a pas de liberté et pas de loi morale fondée sur elle, mais si tout ce qui arrive ou peut arriver n'est que simple mécanisme de la nature, alors la politique (en tant qu'art d'utiliser ce mécanisme pour gouverner les hommes) est toute la sagesse pratique et le concept de droit est une idée creuse. Mais si on considère d'une nécessité inévitable de lier ce concept avec la politique, voire de l'élever à une condition restrictive de la politique, alors il faut admettre la possibilité de leur réunion. Or je peux bien concevoir un politique moral, c'est-à-dire quelqu'un qui considère que les principes de la prudence politique peuvent coexister avec la morale, mais non pas un moraliste politique qui se forge une morale qui soit profitable à l'intérêt de l'homme d'État.( p 112 )

(Les éléments surlignés -par nous- font apparaître la forme du raisonnement)

Ce paragraphe établit la thèse essentielle de Kant par un raisonnement apagogique c'est à dire qui conduit vers une conclusion à partir d'une hypothèse: si ... alors ... En logique apagogique désigne une forme du raisonnement par l'absurde. Il s'agit d'établir par démonstration, de manière indiscutable , que celui qui n'admet pas la proposition à démontrer (s'il faut que la politique se règle sur le droit, il faut au moins admettre la possibilité de leur réunion) s'enferre dans des conséquences impossibles à maintenir et se voit contraint de prendre pour point de départ une absurdité: la réduction de l'homme au seul règne du déterminisme naturel: nier la proposition à démontrer revient à tenter vainement de concevoir un principe universel qui ne s'appliquerait pas dans tous les cas! "Ce serait un principe creux car les "exceptions" détruiraient "l'universalité à laquelle seule ils doivent leur nom de principes" Kant La métaphysique des mœurs, doctrine  de la Vertu. (Page 256)

Il est possible de distinguer trois moments de ce paragraphe: 

 - Première partie et deuxième partie sous forme de tableau pour pouvoir les comparer. 

Certes : (évidemment), si on fait une hypothèse absurde ==>

Point de départ : une hypothèse qui nie la liberté et donc la possibilité de la loi morale: "s'il" ==>

Alors : déduction de l'hypothèse: la politique serait une simple habileté, le bon usage du déterminisme naturel auquel selon l'hypothèse les hommes seraient soumis: par exemple mentir, forcer, s'adresser aux intérêts: ruser ==>

"Simple" nie la dualité de l'homme, être raisonnable sensiblement affecté : capable d'agir par la représentation d'une loi.

Mais: (au contraire)

Point de départ : la prise en considération d'un principe nécessaire et donc inévitable.==>

Alors : déduction nécessaire :"il faut" : on ne peut faire autrement que d'admettre la possibilité d'une réunion de la politique et de la morale. La réunion demande une action, une volonté de l'homme politique.==>

La réunion de la politique aux principes du droit fondés en morale n'est pas analytique(ma politique est morale!) mais synthétique. Cela fonde l'argumentation de la troisième partie. ==>

 - Troisième partie 

"Or" introduit un argument. Concevoir, c'est saisir, prendre ensemble. Le contradictoire ne peut être pris ensemble:
- Ce qui peut être conçu c'est que le politique soit soucieux du devoir de se régler sur le droit et donc attentif à corriger un vice chaque fois qu'il se présente. La liaison politique et droit moral se fait par la liberté et la volonté de l'homme d'état. Il n'y a aucune contradiction à chercher à faire exister ensemble une politique prudente et la morale.
- Ce qui ne peut être conçu, que la moralité soit déduite analytiquement de la politique car c'est vouloir réunir ce qui se fuit: les intérêts (de l'ordre de l'impératif hypothétique) et une morale (de l'ordre de l'impératif catégorique). En réalité, "se forger une morale" c'est ajuster la morale à des circonstances particulières et lui enlever son caractère d'universalité. c'est le pragmatisme: Kant, adversaire de Machiavel.

Bien suivre le sens du texte.

- "S'il n'y a pas" : nier la liberté et la loi morale, la possibilité d'agir par la représentation d'une loi, réduit effectivement (certes ...) l'homme au déterminisme naturel. En lui enlevant tout ce qui fait sa dignité, on exclut la possibilité que "le peuple devienne réceptif à l'influence de la simple idée de l'autorité de la loi." (page 113). On identifie les hommes à des mécanismes perfectionnés: la connaissance de ces mécanismes permettra de les déterminer. La politique devient un art, une habileté: le savoir donnera un pouvoir.

- De l'hypothèse on a déduit que le politique ne peut être que pragmatiste, que la fin justifie les moyens et que celui qui s'occupe de ce qui doit être ne tardera pas à disparaître. Au contraire, celui qui s'occupe de ce qui est devra manier avec subtilité le mensonge.
- Pour Kant toutes ces déductions s'effondrent car elles partent d'une hypothèse absurde: l'homme comme être raisonnable sensiblement affecté n'est pas "simple", il est aussi une personne, une fin en soi.

- "Moraliste politique" : un moraliste politique n'est en fait qu'un politique simple: au lieu de chercher à accorder sa conduite avec la loi morale, il croit tourner la difficulté en produisant sa propre morale en fonction des circonstances et surtout en fonction de ce qui lui va bien. Raison d'état est une expression qui vient toujours dans ses discours (bonne lecture de vacances: Michel Henry, Le cadavre indiscret). Le moraliste politique est donc inconcevable puisque, en réduisant la morale à sa politique, il fait perdre à la morale sa caractéristique essentielle, l'universalité. Il  y a un mot de trop: moraliste. C'est un politique qui jette de la poudre aux yeux, comme s'il était possible de déduire analytiquement la morale de la politique. Par contre, un politique moral peut être conçu: on distingue les deux termes et on évoque la possibilité d'une liaison synthétique, d'une réunion qui est, pour ainsi dire ajoutée de l'extérieur par la volonté de l'homme politique.

Dans ce petit paragraphe Kant s'oriente vers l'établissement de sa principale thèse: "Il ne faut pas que le droit se règle sur la politique: mais bien que la politique se règle sur le droit" Doctrine de la Vertu, page 255. A la fin de son parcours (page 123): il pourra affirmer "il faut que toute politique plie le genou devant le droit." ==> Voir l'explication de texte Morale, Droit, politique. (fin de l'appendice I lien sur la page d'accueil de La paix)