Comparons
deux titres.
D'une part le titre de l'oeuvre VERS
LA PAIX PERPETUELLE ESQUISSE
PHILOSOPHIQUE
Et d'autre
part le titre de la page suivante: A la
paix perpétuelle
(meilleure traduction = éternelle, celle des morts)
Karin Rizet traduit avec bonheur : A la paix éternelle, ce
qui permet de distinguer la paix éternelle comme doux rêve,
de la paix perpétuelle que la raison pose et qu'elle rend
possible.
Essayons de
les comprendre pour faire jaillir une problématique.
Bien faire la distinction entre "Vers" et
"A", entre une orientation de l'existence dans un
projet de penser par soi-même avec les autres, dans un
mouvement qui donnera un aperçu général sur un sujet
(l'esquisse) par une pensée libre et, "A", une
localisation, la réalisation de la paix qui se confond avec
une image, la représentation d'un cimetière symbolisant la
disparition de l'existence comme si la paix ne pouvait pas
accompagner la vie humaine et ses projets.
Cette
distinction va nous permettre de cerner le problème, la
difficulté à laquelle tout effort de réflexion sur la paix
va se heurter.
En effet,
celui veut réfléchir sur la paix, doit bien revenir sur un
"objet", la paix, pour le penser. Mais, comment
transformer la paix en objet?
S'il est
possible de prendre pour objet la guerre, c'est que nous avons
un concept pour cela: la guerre est un concept (de cum = avec,
capio = je prends): un concept permet de prendre ensemble des
expériences et nous avons des expériences de la guerre, ça
ne manque pas. L'entendement (faculté des concepts chez Kant)
peut donc connaître, déterminer une intuition sensible par
un concept. Voilà pourquoi, on peut juger "ceci est une
guerre", on peut donc faire la guerre, préparer la
guerre, définir la guerre, par exemple comme une continuation
de la politique. Mais peut-on la penser? N'est-elle pas
l'impensable?
Au contraire
de la guerre, et cela complique votre tâche de prépas, la
paix n'est pas un concept, mais une idée, ce à quoi rien de
sensible ne correspond: on ne peut donc pas la connaître, la
déterminer par un concept, on ne peut pas en déduire des
principes d'action, on ne peut que la penser puisqu'elle n'est
pas un objet d'expérience. Bien plus toute tentative de la définir
en fonction d'une expérience est vaine et dangereuse: car
alors, l'idée transformée en concept deviendrait un projet
de réalisation ce qui est le principe de toute forme de
terreur.
La conséquence
est qu'il faut renoncer aux définitions négatives (par
exemple: "la paix c'est l'absence de conflits") qui,
bien entendu ne disent rien de la paix elle même et qui soulèvent
immédiatement des difficultés: comment ne pas la confondre
avec la paix éternelle des morts ou encore avec la paix d'un
état tyrannique qui fait fi du droit et de la liberté! Mais
renoncer à toute définition c'est renoncer aussi à la
question préalable, selon laquelle, avant de traiter un problème,
il faut savoir de quoi on parle. Toute définition figerait
l'idée dans la formalisation ce qui reviendrait à confondre
la paix avec sa caricature. Comme le remarque Montesquieu,
l'absence de liberté d'un pays "en paix" ne serait
qu'une caricature, l'exagération d'un trait ( par exemple,
l'ordre) au détriment de l'essentiel, la liberté.
Comprendre
que la pensée ne peut alors jamais être qu'une invention de
la liberté, qu'une esquisse à toujours poursuivre
puisqu'elle ne peut parvenir à la satisfaction aliénée
d'une connaissance de l'objet, d'une représentation adéquate.
Kant sait
bien que le traité qui vient d'être signé entre la France
et la Prusse (Bâle, 5 avril 1795) n'est qu'une promesse et
que la paix perpétuelle paraîtra toujours aux politiques,
nourris de la pensée de Machiavel, un doux rêve.
Il veut
cependant penser par soi-même avec les autres, faire un usage
libre et public de sa raison: du concept à l'idée, de
l'usage de l'entendement à celui de la raison, il y a le
mouvement de la liberté qui s'aventure à poser des problèmes
et à commencer quelque chose: c'est une invention grâce à
laquelle l'humanité s'élève vers ce à quoi la connaissance
ne peut accéder. C'est dire que l'idée de paix concerne ce
qui devrait être, qu'elle est morale, même s'il semble vain
de compter sur la morale pour la réaliser. Contrairement à
ce que croit l'opinion, pour qui celui qui pense détient la vérité,
l'essence de la pensée c'est la liberté ou si l'on préfère
la Foi.
Essayons de
clarifier par un petit tableau.
Entendement
=>
|
Faculté
des concepts =>
|
Connaissance
=>
"Ceci
est une table"
|
Détermination
des représentations. (clos)
|
Raison
=>
|
Faculté
des idées =>
|
Pensée
=>
"La
paix est un équilibre mondial"
|
Liberté
et risque ... (ouvert)
|
Problème:
Comment réfléchir sur ce qu'on ne connaît
pas? A plus forte raison, comment établir ce qu'on ne connaît
pas? L'expression faire la paix a-t-elle un sens?
Solution
qui permet de construire la troisième partie du devoir:
penser par soi même avec les autres dans une aventure, un
effort de création, l'exercice d'un pouvoir natal, dans
lequel la Raison joue un rôle essentiel.
Kant distinguera la paix éternelle, celle des morts et la
paix perpétuelle, celle des vivants: une bonne paix qui se
maintiendra, qui se perpétuera comme par un mécanisme entraîné
par la rationalité de la machine, du traité de paix.
A partir du problème, il est
maintenant possible de fabriquer des sujets: par exemple:
= Peut-on confier à la morale la réalisation
de la paix?
= Une pensée sur la paix peut-elle être réaliste?
= Pourquoi
est-il si difficile de faire la paix? (Bergson; mais aussi
Aristophane, La paix GF Flammarion, Théâtre complet I, pages
339 à 351)
= Peut-il y a voir une harmonie des contraires, ailleurs que
dans les sentiments, que nous appellerions la paix? (sur
l'harmonie des contraires, voir en particulier de Baudelaire
La cloche fêlée "Il est amer et doux ...").
= La paix n'est-elle que le résultat d'un équilibre des
forces?
= La paix exige-t-elle vraiment un ordre mondial?
=>
Incontournable: le rapprochement des hommes exige-t-il
l'invention d'autres formes d'expression que la guerre?
(attention au terme exiger). Voir Claude Lefort: Lire, à l'épreuve
du politique. L'idée de paix et l'idée d'humanité.
Piste
de lectures:
= Bergson, Les deux sources de la morale
et le la religion (pages 27 et 28) en particulier: "La
paix a toujours été jusqu'à présent une préparation à la
défense ou même à l'attaque, en tout cas à la guerre ...
Entre la nation ... et l'humanité, il y a toute la distance
du fini à l'indéfini ... C'est seulement à travers la
Raison, dans la Raison par où nous communions tous, que les
philosophes nous font regarder l'humanité pour nous montrer
l'éminente dignité de la personne humaine, le droit de tous
au respect."
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