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LA PAIX  Niveau Classes prépas. par J. Llapasset

 

KANT, Vers la paix perpétuelle:  

Objectif: formuler le problème.

(Éditions GF Flammarion, n°573, pages 73 et 75). Toutes nos références renvoient à cette édition. traduction J-François Poirier et Françoise Proust.

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Comparons deux titres.
D'une part le titre de l'oeuvre VERS LA PAIX PERPETUELLE ESQUISSE PHILOSOPHIQUE

Et d'autre part le titre de la page suivante: A la paix perpétuelle  (meilleure traduction = éternelle, celle des morts)
Karin Rizet traduit avec bonheur : A la paix éternelle, ce qui permet de distinguer la paix éternelle comme doux rêve, de la paix perpétuelle que la raison pose et qu'elle rend possible.

Essayons de les comprendre pour faire jaillir une problématique.
Bien faire la distinction entre "Vers" et "A", entre une orientation de l'existence dans un projet de penser par soi-même avec les autres, dans un mouvement qui donnera un aperçu général sur un sujet (l'esquisse) par une pensée libre et, "A", une localisation, la réalisation de la paix qui se confond avec une image, la représentation d'un cimetière symbolisant la disparition de l'existence comme si la paix ne pouvait pas accompagner la vie humaine et ses projets.

Cette distinction va nous permettre de cerner le problème, la difficulté à laquelle tout effort de réflexion sur la paix va se heurter.

En effet, celui veut réfléchir sur la paix, doit bien revenir sur un "objet", la paix, pour le penser. Mais, comment transformer la paix en objet?

S'il est possible de prendre pour objet la guerre, c'est que nous avons un concept pour cela: la guerre est un concept (de cum = avec, capio = je prends): un concept permet de prendre ensemble des expériences et nous avons des expériences de la guerre, ça ne manque pas. L'entendement (faculté des concepts chez Kant) peut donc connaître, déterminer une intuition sensible par un concept. Voilà pourquoi, on peut juger "ceci est une guerre", on peut donc faire la guerre, préparer la guerre, définir la guerre, par exemple comme une continuation de la politique. Mais peut-on la penser? N'est-elle pas l'impensable?

Au contraire de la guerre, et cela complique votre tâche de prépas, la paix n'est pas un concept, mais une idée, ce à quoi rien de sensible ne correspond: on ne peut donc pas la connaître, la déterminer par un concept, on ne peut pas en déduire des principes d'action, on ne peut que la penser puisqu'elle n'est pas un objet d'expérience. Bien plus toute tentative de la définir en fonction d'une expérience est vaine et dangereuse: car alors, l'idée transformée en concept deviendrait un projet de réalisation ce qui est le principe de toute forme de terreur.

La conséquence est qu'il faut renoncer aux définitions négatives (par exemple: "la paix c'est l'absence de conflits") qui, bien entendu ne disent rien de la paix elle même et qui soulèvent immédiatement des difficultés: comment ne pas la confondre avec la paix éternelle des morts ou encore avec la paix d'un état tyrannique qui fait fi du droit et de la liberté! Mais renoncer à toute définition c'est renoncer aussi à la question préalable, selon laquelle, avant de traiter un problème, il faut savoir de quoi on parle. Toute définition figerait l'idée dans la formalisation ce qui reviendrait à confondre la paix avec sa caricature. Comme le remarque Montesquieu, l'absence de liberté d'un pays "en paix" ne serait qu'une caricature, l'exagération d'un trait ( par exemple, l'ordre) au détriment de l'essentiel, la liberté.

Comprendre que la pensée ne peut alors jamais être qu'une invention de la liberté, qu'une esquisse à toujours poursuivre puisqu'elle ne peut parvenir à la satisfaction aliénée d'une connaissance de l'objet, d'une représentation adéquate.

Kant sait bien que le traité qui vient d'être signé entre la France et la Prusse (Bâle, 5 avril 1795) n'est qu'une promesse et que la paix perpétuelle paraîtra toujours aux politiques, nourris de la pensée de Machiavel, un doux rêve.

Il veut cependant penser par soi-même avec les autres, faire un usage libre et public de sa raison: du concept à l'idée, de l'usage de l'entendement à celui de la raison, il y a le mouvement de la liberté qui s'aventure à poser des problèmes et à commencer quelque chose: c'est une invention grâce à laquelle l'humanité s'élève vers ce à quoi la connaissance ne peut accéder. C'est dire que l'idée de paix concerne ce qui devrait être, qu'elle est morale, même s'il semble vain de compter sur la morale pour la réaliser. Contrairement à ce que croit l'opinion, pour qui celui qui pense détient la vérité, l'essence de la pensée c'est la liberté ou si l'on préfère la Foi.

Essayons de clarifier par un petit tableau.

Entendement =>

Faculté des concepts =>

Connaissance =>

"Ceci est une table"

Détermination des représentations. (clos)

Raison =>

Faculté des idées =>

Pensée =>

"La paix est un équilibre mondial"

Liberté et risque ... (ouvert)

Problème: Comment réfléchir sur ce qu'on ne connaît pas? A plus forte raison, comment établir ce qu'on ne connaît pas? L'expression faire la paix a-t-elle un sens?

Solution qui permet de construire la troisième partie du devoir: penser par soi même avec les autres dans une aventure, un effort de création, l'exercice d'un pouvoir natal, dans lequel la Raison joue un rôle essentiel. 
Kant distinguera la paix éternelle, celle des morts et la paix perpétuelle, celle des vivants: une bonne paix qui se maintiendra, qui se perpétuera comme par un mécanisme entraîné par la rationalité de la machine, du traité de paix.
A partir du problème, il est maintenant possible de fabriquer des sujets: par exemple:

= Peut-on confier à la morale la réalisation de la paix?
= Une pensée sur la paix peut-elle être réaliste?
= Pourquoi est-il si difficile de faire la paix? (Bergson; mais aussi Aristophane, La paix GF Flammarion, Théâtre complet I, pages 339 à 351)
= Peut-il y a voir une harmonie des contraires, ailleurs que dans les sentiments, que nous appellerions la paix? (sur l'harmonie des contraires, voir en particulier de Baudelaire La cloche fêlée "Il est amer et doux ...").
= La paix n'est-elle que le résultat d'un équilibre des forces?
= La paix exige-t-elle vraiment un ordre mondial?

=> Incontournable: le rapprochement des hommes exige-t-il l'invention d'autres formes d'expression que la guerre? (attention au terme exiger). Voir Claude Lefort: Lire, à l'épreuve du politique. L'idée de paix et l'idée d'humanité.

Piste de lectures:
= Bergson, Les deux sources de la morale et le la religion (pages 27 et 28) en particulier: "La paix a toujours été jusqu'à présent une préparation à la défense ou même à l'attaque, en tout cas à la guerre ... Entre la nation ... et l'humanité, il y a toute la distance du fini à l'indéfini ... C'est seulement à travers la Raison, dans la Raison par où nous communions tous, que les philosophes nous font regarder l'humanité pour nous montrer l'éminente dignité de la personne humaine, le droit de tous au respect."