"Les
cordes qui [attachent] le respect des uns envers les
autres, en général, sont cordes de nécessité; car il
faut qu'il y ait différents degrés, tous les hommes
voulant dominer, et tous ne le pouvant pas, mais
quelques-uns le pouvant.
Figurons-nous donc que nous les voyons commencer à se
former. Il est sans doute qu'ils se battront jusqu'à ce
que la plus forte partie opprime la plus faible, et
qu'enfin il y ait un parti dominant. Mais quand cela est
une fois déterminé, alors les maîtres, qui ne veulent
pas que la guerre continue, ordonnent que la force qui
est entre leurs mains succédera comme il leur plaît;
les uns la remettent à l'élection des peuples, les
autres à la succession de naissance, etc.
Et c'est là où l'imagination commence à jouer son rôle.
Jusque-là le pouvoir force le fait ici c'est la force
qui se tient par l'imagination en un certain parti, en
France des gentilshommes, en Suisse des roturiers,
etc....
Ces cordes qui attachent donc le respect à tel et à
tel en particulier, sont des cordes d'imagination." |
===========================
=
Problème:
Comment accorder la
justice avec cette nécessité selon laquelle il faut des
maîtres et des sujets, des riches et des pauvres?
=
La nécessité
Qu'il y ait des maîtres
et des sujets, des riches et des pauvres, cela ne peut pas ne
pas être car c'est prescrit par la disproportion entre
l'identité d'une volonté sans bornes et une inégalité de
force entre les hommes: "En général"
marque la loi comme forme caractéristique de toute société
humaine et la nécessité de liens (cordes)
hiérarchiques. Cette loi reste formelle (abstraite) car elle
ne s'attache pas à désigner tel ou tel en particulier:
c'est le pouvoir qui a forcé le fait, l'attachement par le
respect.
=
De la nécessité à la contingence (stratégie)
"Déterminé" (nécessairement). La
formation des cordes: un jeu de forces, puis une oppression,
enfin une domination: à la détermination nécessaire
succède la parole comme décret qui confie la force selon la
volonté et le bon plaisir des maîtres: il n'y a plus
nécessité mais contingence: le souverain sera par exemple le
peuple ou, en France, le roi et sa cour. De la nécessité de
la force déterminant le fait on passe aux fluctuations de
l'imagination qui veut bien croire le discours et voir la
force dans un parti au risque que cela soit démenti par une
force plus puissante, une fronde ou une révolution populaire.
Si on passe du général au particulier les cordes ne peuvent
plus être nécessaires: leur force vient de la croyance, de
l'imagination.
Cependant, pour conduire un bateau jusqu'au port on ne
choisira pas le plus noble mais le plus habile.
=
Conséquences
La justice humaine n'est
donc pas fondée dans des lois naturelles: ce n'est qu'une
ombre, l'ombre d'une tyrannie exercée par la force sur la
faiblesse. La coutume n'est suivie que parce qu'elle a été
établie par la force: c'est son seul fondement.
La justice humaine est donc le résultat d'une confusion entre
la nécessité de la force et la contingence de l'imagination:
c'est une usurpation.
Mais il fallait que la justice soit reconnue par tous et
obéie, et c'est la force qui est reconnue immédiatement et
qui est obéie.
Pour avoir la paix, condition du souverain bien, on a mis
ensemble le juste et le fort en justifiant la force ce qui
était plus facile que de donner la force à la justice. On a
laissé croire que le respect ainsi prescrit avait une origine
mystique.
L'injustice humaine justifierait-elle la déraison des
coutumes? De toute façon il est vain de chercher la justice
dans des usurpations, dans l'injustice.
Si la nature d'un être c'est sa forme ou sa fin, n'est-ce pas
dans l'infini qu'il faut chercher la justice?
Cf. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine de
l'inégalité...
|