Thèse:
on ne peut passer la frontière, on ne peut que s'élever
sans pour cela quitter le mal: c'est la condition
humaine.
Mouvement:
du destin
subi à la vocation assumée, de la compassion qui n'est
que pitié pour soi au désert de l'amour.
-L'action:
-
Traqué,
un homme veut passer une frontière en trompant la
vigilance des surveillants.
-
Seul,
pécheur, un prêtre au milieu d'une persécution
triomphante, dans l'État du Tabasco, rêve de
franchir une frontière
qui le sépare
d'un pays où il pourrait trouver un autre prêtre,
se confesser de ses fautes et enfin oublier.
-
Il
est traqué à la fois par la police et par Dieu. A
l'appel de Dieu, il répond en renonçant librement,
par trois fois, à passer la frontière alors qu'il
le pourrait: il reste parmi ceux qui souffrent et
ses trois actes transforment sa pitié en amour:
-Tout
d'abord il ne prend pas le bateau pour répondre à
l'appel d'un enfant qui veut le mener près de sa mère
à l'agonie;
-Ensuite,
il donne à un métis la mule qui lui permettrait de
fuir.
-Enfin,
après avoir passé la frontière, il revient en arrière
en suivant le métis qui lui a menti.
-
Comprenons
qu'il renonce à la frontière spatiale, à la
fuite, pour franchir la frontière spirituelle, en
transfigurant la pitié qui n'est que pitié pour
soi, atteignant par là la puissance et la gloire du
pardon et de l'amour.
-
Comme
des fleurs du mal, l'absence fait signe vers le bien
qui manque, alors que la présence, la suffisance du
révolutionnaire, se dégrade en fanatisme et en
mal. En effet, il faut que les révolutionnaires
soient bons et que ceux qui leur succèdent le
soient aussi, pour que le mal ne ressurgisse pas.
Mais,
"même si tous les prêtres étaient comme moi,
lâche, cupides, cela n'y changeraient rien, car ils
pourraient toujours donner Dieu aux hommes."
-
Et
le prêtre sera exécuté: un pauvre homme ivre qui
témoigne que l'humiliation peut être transfigurée
par le sacrifice en puissance et en gloire.
Graham Greene nous montre que si les jugements des
hommes mettent des frontières entre le mal et le
bien, une vie qui semble perdue peut être pénétrée
de la présence du bien.
-
Si
on ne peut passer la frontière c'est que Dieu se découvre
au cœur du malheur. Dans le fond du problème
Scobie cherche à se débarrasser de la pitié.
"On
n'est un être humain que si on vide la coupe.
si l'on est lâche un jour, si un autre jour
on profite de quelque hasard heureux, la coupe
vous est présentée une troisième
fois." (Gaham Greene, Le fond du
problème, p.163)
"Et
c'est ainsi que vint la foi... au milieu d'une
pelouse à croquet, une présence étroitement
en rapport avec la brutalité, la cruauté, la
corruption... l'on se mit à croire au ciel
parce qu'on croyait à l'enfer..." (Gaham
Greene, Routes sans lois, p.11)
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On ne
passe pas la frontière est un thème rémanent dans l'œuvre
de Greene.
J.
Llapasset |