Comment
sortir du discours convenu sur l'échange,
cette rhétorique, cette forme indifférente au contenu que l'on
retrouve déjà dans les articles parus sur l'échange?
C'est
un discours convenu, passe-partout qui n'a pour but que de
justifier la chute finale, toujours à la gloire de l'échange.
Autant dire qu'il affirme sa vérité parce qu'il suit une méthode,
un chemin tout tracé: une vérité quel que soit le contenu!
Mais la règle d'or d'une dissertation c'est de toujours préférer
l'ordre d'enchaînement du contenu ajusté au problème, et donc
de tordre le cou à la méthode.
Résumons
le discours convenu:
-
On
commence par souligner l'importance de l'échange: en le réduisant
à une essence, on l'affirme partout dans les relations
humaines: le loup pointe son oreille et indique la vérité
d'une opinion avant d'avoir même pensé: à bas le don,
vive l'échange!
-
Dans
une première partie, on admet qu'il semble menacé par le
don. Le don ne serait-il pas le salut?
-
Bien
vite dans une deuxième partie, on rassure tous ceux qu'on a
inquiété: Eh bien non, car le don a un caractère
obligatoire qui est aliénation: il faut rendre! Ce n'est
pas un don, c'est l'échange déguisé, hypocrite. Au
passage, on donne un coup de griffe au Bon Samaritain de l'Évangile:
s'il est si discret, si généreux c'est qu'il espère
recevoir au centuple.. de Dieu. D'ailleurs
(argument massif !) il y a un témoin, l'hôtelier qui par
son admiration montre bien que ce n'était pas un don mais
un échange. A la limite on voudrait nous dispenser de la
lecture du texte car nous découvririons qu'on fait dire au
texte beaucoup plus que ce qui est écrit. Si le don n'est
qu'un aspect de l'échange, reste l'échange. Ce qu'on
voulait établir.
-
Dans
une troisième et dernière partie, on termine sur l'hégémonie
et le triomphe de l'échange: d'ailleurs n'a-t-il pas envahi
tous les rapports humains: gloire perpétuelle aux échanges!
Même si le gros mange le petit?
Ce
qui est retrouvé en réalité, c'est exactement le parcours des
sophistes qui affirment toujours la vérité de ce qu'ils
affirment en privilégiant la cohérence par rapport au contenu.
On peut prouver n'importe quoi, par exemple que la vérité
a un prix.
La
question fondamentale est pourtant: qu'y a-t-il dans le phénomène
du don et qu'y a-t-il dans le phénomène de l'échange ?Répondre
par une simple enquête sur une société particulière c'est céder
au mythe de l'origine, c'est refuser à l'homme le pouvoir
d'inventer une morale ouverte, c'est le noyer dans une continuité
sans rupture. Il faut donc utiliser le texte de Mauss: L'échange
une figure du don (*lien
en ouverture nouvelle fenêtre sur votre écran),
comme une enquête précieuse sur une continuité.
Mais
en acceptant de qualifier ces formes d'échanges du terme
"don", en simplifiant, il ne faut pas être dupe des
mots. Le "don" peut renvoyer à une tout autre
signification qui le sépare radicalement de l'échange.
Par exemple, toute pensée nouvelle , et singulièrement celle
de Michel Henry , doit bien utiliser des termes qui ne
l'expriment pas parfaitement jusqu'à ce qu'elle ait
choisi ou produit ses propres termes. De même: que le don ait
longtemps signifié une forme d'échange comme phénomène
total, ne signifie pas qu'il n'ait pas pris , à un moment
donné, un tout autre sens. Vouloir nier cela relève d'un
a priori réducteur et d'une certaine matière qui, posée
devant les yeux, rend aveugle.
Qui
nous fera croire qu'il suffit de vivre son époque pour la
transformer? A quoi sert alors un État républicain et un
Gouvernement: tout est-il écrit dans le passé (la vérité
c'est ce que j'ai écrit dit le sophiste Protagoras), ou alors
un nouveau texte plus vrai et plus juste ne peut-il être écrit?
Sans aller jusque là peut-on espérer des dissertations où
celui qui la rédige ait le courage d'écrire son texte et de
secouer le cocotier de l'opinion pour penser par lui même avec
les autres, au besoin hors du discours convenu, qui n'est que
celui de la médiocrité et de la lâcheté, même si ce qui est
convenu se vend bien