Il
n'est pas question de nier que apprendre transforme.
Mais, on l'accordera, ne peut être transformé que ce qui est
modifiable. Le Même qui revient comme un rythme, comme un
instinct est un granit sur lequel peuvent se dessiner des
exceptions mais qui, en lui même, dans le temps, ne change pas.
En ce sens le rythme comme retour du même temps fort demeure.
Ainsi, l'échange n'aurait rien perdu de son fondement: le
contrat initie toujours un rapport débiteur / créancier et
produirait toujours l'équivalence odieuse avantage /
satisfaction, comme si la souffrance du débiteur était une des
principales "motivations"(de l'échange)que la
conscience superficielle, simple reflet, est bien incapable de
penser. La compensation donnerait-elle un droit à la cruauté ?
L'animal
humain serait-il régulier ? Pour imprimer quelque chose de régulier
il a fallu un long travail historique, celui de la moralité des
mœurs. Nietzsche évalue l'origine de l'échange, les concepts
débiteur / créancier qu'il interprète parce que ce ne sont
que des perspectives, et met en évidence la cruauté comme
instinct qui domine .
Nietzsche vient de formuler un problème: cette idée que tout
dommage peut être compensé par une douleur que subirait
l'auteur du dommage, d'où a-t-elle tiré sa puissance ? (Elle
est inextirpable).
" C'est là que l'on promet,
c'est là qu'il s'agit de faire une mémoire à celui
qui promet, c'est là encore, on peut le soupçonner,
que la dureté, la cruauté, la violence trouveront
libre carrière. Le débiteur, pour inspirer confiance
en sa promesse de remboursement, pour donner une
garantie du sérieux, du caractère sacré de sa
promesse, pour graver dans sa propre conscience la nécessité
du remboursement sous forme de devoir, d'obligation,
s'engage, en vertu d'un contrat, auprès du créancier,
pour le cas où il ne paierait pas, à l'indemniser
par quelque chose d'autre qu'il <possède>,
qu'il a encore en sa puissance, par exemple son corps,
sa femme, sa liberté, voire même sa vie. Mais le créancier
pouvait notamment dégrader et torturer de toutes les
manières le corps du débiteur, par exemple en couper
telle partie qui parût en proportion avec
l'importance de la dette …. Rendons-nous compte de
la logique qu'il y a dans cette forme de compensation
elle est assez étrange. Voici en quoi consiste l'équivalence
aux lieu et place d'un avantage, qui compense
directement le dommage causé (donc au lieu d'une
compensation en argent …), il est accordé au créancier
une sorte de satisfaction en manière de remboursement
et de compensation, - la satisfaction d'exercer, en
toute sécurité, sa puissance sur un être réduit à
l'impuissance, la volupté "de faire le mal pour
le plaisir de le faire ", la jouissance du
viol… "
Nietzsche, La généalogie de la morale,
deuxième dissertation, V.
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Cette
séquence décisive de la généalogie, nous l'éclairons
maintenant grâce au commentaire que nous en donne Michel Henry
dans Généalogie de la psychanalyse.
Considérons en effet la séquence décisive
de la généalogie. Elle intervient lorsque le débiteur
ne rembourse pas le créancier, lequel a droit alors à
une étrange compensation, non plus un équivalent en
nature, en argent, en terre ou sous la forme d'un bien
quelconque, mais le droit justement de frapper, de
maltraiter, de mépriser, d'insulter et même de violer,
le droit de faire souffrir de toute manière. D'où la
question abyssale de la généalogie "comment la
souffrance peut-elle être une compensation pour des
dettes?". Et la réponse, non moins abyssale
"parce que faire souffrir donnait un très grand
plaisir et que celui qui avait subi le dommage et ses désagréments
obtenait en échange une extraordinaire
contre-jouissance faire souffrir - véritable fête...
". Et encore " voir souffrir fait du bien,
faire souffrir, plus de bien encore... ".
Michel Henry, Généalogie ... page 285
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Cela
semble nous renvoyer à l'unité originelle de la souffrance et
de la joie et à la vie comme épreuve de soi. Répondre à ce
problème est la tâche d'une phénoménologie radicale. Miche
Henry a effectué cette tâche et l'a menée jusqu'à son terme.
Jusqu'au "Rassemblement intérieur originel en lequel réside
l'essence de toute puissance ... l'éternelle étreinte avec soi
de l'être et son pathos ... l'essence même de notre être."
M. Henry Généalogie de la psychanalyse, page 398.
Bonne lecture.
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