Dans Dialectica,
6, page 124, Gonseth énonce ainsi un principe de dualité, ce qui
commande la réalité de la science:
"Un principe de dualité reconnaît que ni le rationalisme pur
ni l'empirisme pur ne peuvent servir de plate-forme
suffisantes à la méthodologie des sciences. La science réalise un
dialogue, une dialectique où l'abstrait et le concret se spécifient
l'un par rapport à l'autre."
Un tel principe s'applique à toute connaissance, de l'opinion jusqu'à
la connaissance scientifique la plus épurée de subjectivité: toute
connaissance scientifique présente et un aspect théorique et un aspect
empirique, même si l'importance de l'un est inversement
proportionnelle à celle de l'autre. (prépondérance de la théorie et
donc de la raison dans la science et prépondérance de l'expérience
immédiate sensible dans l'opinion). C'est que, même dans le concret, ce
dernier n'est tel que par l'abstrait. Dans le mouvement de théorie et
expérimentation il y a bien un dialogue par lequel la raison est
éduquée par l'expérience et dans lequel l'expérience est guidée
par la raison (on expérimente avec la raison).
Apparaît alors une
dualité dont les éléments sont irréductibles au point qu'il est
possible de penser qu'elle obéit à un principe qui devient alors
constitutif de toute connaissance réelle. Il fallait s'y attendre si
l'homme est un être raisonnable sensiblement affecté. Comment
pourrait-il faire abstraction d'un des éléments qui le composent?
Nous avons bien là une dualité, caractère de ce qui est double, parce
qu'il comprend deux éléments différents: théorie / expérience;
rationalisme / empirisme, indissociables au point que non
seulement la connaissance réelle ne peut être sans eux, mais encore
parce qu'ils se précisent mutuellement, au point que la densité de
leur existence, pour ainsi dire, dépend d'un dialogue, d'une dialectique concret /
abstrait.
La conséquence
du principe de dualité c'est qu'aucune connaissance ne peut être
considérée comme définitive, même s'il y a peut-être des
connaissances définitives. Une extrême prudence s'impose devant toute
affirmation de l'irréformabilité d'une connaissance. D'abord parce que
la science utilise le principe de révisibilité pour réviser les
acquisitions antérieures en fonction des acquisitions nouvelles:
l'ambiance de la science est donc le provisoire. Ensuite parce qu'on ne
peut jamais décider à un moment du temps que l'obligation de réviser
telle ou telle connaissance ne se présentera jamais. Enfin parce que le
succès n'est pas un critère de vérité ce qui enlève tout espoir
d'établir définitivement la vérité d'une affirmation par
l'expérimentation réussie, même si elle construit une observation
réelle mesurable conforme à l'observation théorique prévue par le
calcul à partir d'une théorie.
=>
"La connaissance objective et la dialectique correspondante ne
se constituent pas par une organisation à partir de positions
normatives immuables, mais par une réorganisation à partir du front
de l'expérience ..." Gonseth.
"La
connaissance dont nous nous sentons aujourd'hui capables n'est
pas prédicative. Je veux dire par là que nous ne sommes pas
en possession d'aucune certitude qui puisse être réputée
indépendante de tout progrès ultérieur du savoir."
Gonseth, au Congrès Descartes en 1937. |
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