Je
propose un détour, un de ceux que le temps de la philosophie
exige.
Lorsqu'il
s'agit de l'échange, je suis partagé entre la réalité
connaissable par détermination, grâce à un concept, d'une expérience,
et, d'autre part, une Idée, une Forme idéale que par définition
nous ne rencontrons jamais mais grâce à laquelle il est
possible de penser, d'évaluer la "réalité", en s'élevant
par-dessus toute expérience sensible, en "faisant" de
la métaphysique.
De même, pour la vérité, tu sais très bien qu'on distingue
(tu l'as enseigné...) le vrai et le faux qui qualifie un
discours et la vérité, Forme vers laquelle on s'élève, par
une succession de rectifications d'erreurs. La vérité se pense
et se cherche, , le vrai s'établit par une comparaison entre le
discours et une réalité fuyante que nous remplaçons par des
objets dans lesquels, selon l'heureuse formule de Kant, le sujet
ne retrouve que ce qu'il y a mis.
Le sujet proposé,
la vérité de l'échange, place donc le candidat entre
deux "êtres de fuite", la vérité et la réalité,
l'Idée de vérité, et des objets qui masquent plus ou moins la
réalité, des objets qui se révèlent provisoires dès que la
réflexion s'exerce.
La vérité de
l'échange serait l'impossible coïncidence entre un discours et
une réalité toujours masquée. C'est donc à l'aporie, ou à
un incessant mouvement dialectique, celui de ma philosophie, que
semble condamner le sujet proposé.
Cependant, il est toujours possible d'échapper à une aporie
par un effort de distinction.
Prenons un exemple= problème: comment se fait-il que le travail
source d'humanisation et de libération soit rejeté par tant de
personnes dès le lundi matin ...? Le problème jaillit toujours
d'un calcul déçu!
Ce
problème peut être résolu en distinguant une forme idéale du
travail qui serait nécessairement source d'humanisation et de
libération et des formes sociales plus ou moins aliénantes ...
La vérité du travail, son essence, dépendra du point de vue
adopté. On ne trouve jamais la forme idéale qui n'existe pas
et n'a peut être jamais existé, on ne peut que rencontrer
des formes sociales qui existent mais qui trahissent la forme idéale.
Quelle sera la vérité du travail? elle changera selon que l'on
choisit la connaissance ou la pensée.
La vérité de l'échange nous oriente à la fois vers l'idée
comme forme intellectuelle d'un objet et vers la réalité, non
pas la réalité sensible, mais la réalité intelligible, ce
que la chose est. En ce cas, l'appréhension de l'essence, ce
que la chose est, serait du même coup vérité et réalité.
En
réduisant l'échange à la réciprocité, tu rejoins la phénoménologie
la plus contemporaine, en particulier celle de Michel Henry au début
de "Paroles du Christ". Il me semble pourtant
qu'il y a confusion entre la forme idéale pensée et la forme réelle
vécue...
Du point de vue
de la forme idéale:
Échange = réciprocité = égalité de ceux qui échangent =
liberté = justice par l'équivalence. C'est bien la vérité de
la forme idéale. Car, pour "singer" Rousseau, où la
trouveras-t-on cette vérité de l'échange, où trouveras-tu
une loi juste dans une réalité sociale qui n'est que trop
souvent tissée de décrets masqués sous le nom de lois?
Que voyons-nous? Que l'échange est trop souvent la continuation
de la guerre sous une autre forme, l'exercice de la violence
dans laquelle on exige toujours que l'autre se conforme à des règles
alors qu'on bafoue ces règles.
Où est le droit? Où est l'égalité? Où est la liberté? Où
est la justice? (Prendre l'exemple des échanges Nord-sud...)
La
forme idéale- pensée- exige:
pour échapper à la violence, à la capture, je
donne de ce que j'ai en trop pour recevoir ce que je n'ai pas.
Mais l'échange n'est-il pas plutôt: je cherche à
toujours prendre plus que je ne donne, de l'or
contre de la pacotille étincelante: la vérité de l'échange
serait alors qu'il masque mal le refus de la réciprocité au
profit d'une violence exercée par le plus fort qui dicte la loi
du marché au plus faible.
Ces
questions me semblent devoir engager, effectivement, une réflexion
sur la vérité de l'échange. C'est un grand sujet qui est
proposé à des hommes libres.
La règle
de l'antithèse exige que l'on écoute les deux thèses
adverses avant de proposer un jugement le mieux ajusté
possible. Un plan en trois parties, une analyse des concepts, un
effort de distinction, nourriront le devoir. Il faudra penser
en s'orientant vers la vérité et la justice et en
oubliant le pragmatisme, le masque de la générosité
restreinte, la joie sauvage que donne la violence.
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