Rappelons
que nous vous proposons des pistes: vous avez à
choisir, à reprendre tel ou tel aspect, en pensant par vous même,
sous le regard de tous, en vous détournant de l'opinion
particulière pour vous tourner vers une pensée universelle que
vous aurez produite. L'opinion est de l'ordre du contingent, du
devenir, la pensée est de l'ordre du nécessaire, ou du moins
de l'universel qu'elle vise.
= Pour
démarrer le sujet, vous pouvez remarquer que, dans ce qui paraît
actuellement, certains professeurs de Lettres (ce n'est pas le
fait de professeurs de philosophie), vont jusqu'à parler d'une
démesure de Socrate. Socrate "s'acharnerait" à
convaincre, prônerait la tyrannie de la vertu et renverrait dos
à dos le sophiste et l'homme politique. Il voudrait
"imposer" sa conception de la vérité. L'auteur en
est vite réduit à multiplier les précautions: "Socrate
peut apparaître"; Socrate ne "s'acharne-t-il"
pas;" Platon suggère"; et l'auteur, inanimé, de
terminer par un lapidaire "qu'est-ce que la vérité?".
Ce n'est
pas avec des questions, un feu d'artifice de suggestions qui
offusque le raisonnement vigilant que l'on peut mener une enquête
sur votre sujet: est-il possible de philosopher sans mesure?
D'où le
problème:
comment la démesure peut-elle s'introduire au coeur de l'acte
de philosopher alors que l'acte de philosopher a pour projet de
s'orienter vers le bien qui est mesure?
Si
l'acte de philosopher est ce qui permet de détruire les
opinions qui prolifèrent en son absence, peut-on appeler démesure
la doctrine d'Epicure: il faut philosopher à tous les âges si
l'on veut être heureux?
Voir Épicure,
Lettre à Ménécée
=>
Peut-on appeler démesure les efforts de maïeutique que fait
Socrate pour dialoguer avec Calliclès. Dans l'oeuvre de Platon,
et en particulier dans La République
, lorsque la maïeutique échoue, Socrate continue avec d'autres
qui l'acceptent ou tout seul comme dans le Gorgias, mais l'échec
ne vient jamais de lui. Dans les Lois,
nous comprendrons que, lorsque la maïeutique échoue, il n'y a
plus que la contrainte, la réglementation.
Si l'acte
de philosopher comme réflexion est retour sur un vécu,
ne pourrait-on pas dire que philosopher sans mesure, ce serait
philosopher sur rien, avant d'avoir vécu? Autrement dit, la démesure
viendrait de ce qu'on n'aurait pas ajusté la réflexion à un vécu
en donnant la priorité à la pensée sur le vécu alors que la
réflexion exigerait de d'abord vivre, ensuite de philosopher.
Ainsi Hegel affirme "L'oiseau de minerve prend son vol
à la tombée de la nuit."
Comment pourrait-on ajuster une réflexion sur ce qui n'a pas
encore été! Suivre ce lien: D'abord
vivre, ensuite philosopher...
Si la
mesure consiste à s'entendre sur un étalon, mesurer toutes les
choses par le Bien ou la divinité, par une ouverture au
transcendant, n'est-ce pas engager la philosophie et singulièrement
la dialectique dans un mouvement infini ou tout au moins indéfini?
La dialectique ne saurait s'arrêter. La démesure
consisterait alors dans un cadre humain à inscrire une montée
vers l'inhumain?
Bien
entendu, il est possible de surmonter toutes ces suggestions
pour montrer pourquoi il est impossible de philosopher sans
mesure. Mais cela est du ressort de votre choix: il s'agit de
penser par soi même avec les autres pour les entraîner: penser
du point de vue de l'objectivité, de ce qui peut être partagé
parce que fondé en raison.
Bien
entendu, on ne peut que souscrire cette affirmation: "Qui
imagine détenir la démesure est le plus immodéré qui soit"
(Trotot, Mesure et démesure, Ellipses, page 157): c'est
enfoncer une porte ouverte, c'est valable pour les trois oeuvres
du programme; mais cela se retrouve pleinement affirmé par
Socrate: "Je sais que je ne sais rien", ce
qui est me semble-t-il la pleine expression d'une juste
mesure de soi, par soi, sur soi. Avant de parler et d'écrire
, il faut chercher ce qu'on ne sait pas.
=> Y
a-t-il un temps pour philosopher ? |