Nous
sommes contraints de suivre le mouvement de l'oeuvre puisque, après avoir
rencontré des apories en poursuivant un chemin déterminé par les
analyses de Être et Temps, Heidegger change de cap: de la
subjectivité conquérante à l'humilité devant l'Être et son destin.
Dans Être et Temps (1927)
Heidegger effectue une analyse de l'homme selon deux dimensions: l'homme
relève du monde des étants , mais aussi, il se pose la question de
l'être, parce que comme l'Être, l'homme se déploie dans le temps (voir
venir, voir passer); dans l'angoisse, le souci, la déréliction, l'homme
s'ouvre à sa finitude. De ces analyses naît un projet: déplier,
expliquer par quel processus, comment, le temps de la subjectivité ouvre
à l'Être: il s'agit bien de partir d'une ontologie: l'essence de l'être
non dans un étant mais dans l'homme seul capable de penser, de poser la
question du sens de l'être. Une ontologie fondamentale, un enracinement
dans la subjectivité, de "l'être-là" ou Dasein (=
mouvement d'ouverture qui constitue l'homme dans un rapport avec le monde,
ce mouvement d'ouverture n'ayant rien à voir avec la distinction
sujet/objet).
L'aporie. Heidegger
déclare avoir était incapable de réaliser ce projet parce que la langue
pour le mener à bien manque, tout usage du langage étant métaphysique:
tout effort débouche donc sur le silence fréquenté par les
présocratiques et par les poètes. Penser que l'homme pourrait dire
l'être c'est penser que le berger est l'auteur des moutons qu'il garde!
Être le "berger de l'être" c'est au contraire
comprendre que l'oubli est dans ce qui doit advenir de l'être: le berger
garde, rassemble, recueille, accompagne mais ne brusque pas à la manière
d'une dictature, n'arraisonne pas, laisse être et attend que les moutons
produisent une génération. De même l'homme doit, un peu comme une
sentinelle, attendre que l'être se donne, attendre l'époque où l'être
se donnera en s'exprimant. Tout effort pour précipiter cet avènement
reviendrait à nourrir une abstraction, exercer la volonté de domination:
cela reviendrait à oublier l'essentiel pour une croyance éthique en la
possibilité d'un homme vertueux, d'un avenir qu'une volonté politique
pourrait seule imposer.
On comprend que les options politiques de Heidegger tiennent à la
première partie de son oeuvre.
Ainsi la vérité ne doit
pas être cherchée dans la subjectivité de l'homme mais dans l'Être,
seule origine de la vérité. Cela signifie que l'attente est de mise
(l'attente du berger...), que loin d'être subordonnée au sujet qui n'en
est pas l'origine, la vérité advient par l'Être qui se voile et se
dévoile dans un même mouvement. Loin que l'homme puisse être fondement
de ce qui est, centre référence de l'étant,(bien qu'il puisse être
porteur de valeur susceptible d'orienter une action) , loin qu'il puisse être origine de la vérité, l'homme est soumis au destin de
l'être: dans l'attente que le temps révèle une donation de l'Être, en
exprimant ce dont provient tout étant, un "rien" qui est
l'origine de la vérité.
Reste que le langage poétique garde son lien avec la vérité, avec le
silence du "rien". Si l'homme est le berger de l'Être,
le langage reste bien la maison de l'Être.
Vérité est alèthéia = oubli (voilement) et présence conquise sur
l'oubli = dévoilement. Je
ne sais si ces quelques remarques vous aideront à mieux comprendre ce
grand auteur. la lecture de quelques grands textes de Être et
Temps, ou encore de Chemins qui ne mènent nulle part, est
incontournable.
© Joseph
Llapasset.
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