Angle d'attaque: le monde sensible est-il le simple reflet du monde
intelligible? Le sensible participe-t-il à l'intelligible?
Kant pense que non: les principes de la connaissance sensible ne
doivent pas sortir de leurs limites propres et ne pas souiller les
intelligibles.
1-
Platon,
La république,
fin du Livre VI et début du livre VII (lien
ouverture nouvelle fenêtre)
-
Platon, Gorgias 454 e
Comparons ces deux traductions d'un même texte:
"Pourtant il est vrai que ceux qui savent sont convaincus et
que ceux qui croient le sont aussi." (traduit Monique Canto,
Gorgias, ed. GF Flammarion, n° 465, page 140)
"Il est bien certain pourtant qu'ont été persuadés, aussi
bien ceux qui ont appris et qui savent que ceux qui ont eu confiance et
qui croient." (traduit Léon Robin, Pléiade, Tome I page
386)
D'où un problème, comment distinguer ceux qui croient et ceux qui
savent puisqu'ils ont acquis une conviction.
La deuxième traduction nous permet de répondre car elle nous donne
l'origine: ceux qui savent ont appris, ceux qui croient ont
simplement eu confiance. Par exemple, en ce qu'ils entendaient ,
en ce qu'ils voyaient. (= opinion).
Ces
deux traductions du même textes se complètent: alors que Monique
Canto "ramasse" le sens dans une formulation concise, claire
et distincte, Léon Robin s'efforce de suivre avec fidélité le texte
grec et la pensée de Platon. (Quoiqu'il en soit on préfèrera persuader
pour la croyance et convaincre pour le savoir. En effet la
croyance est un sentiment de conviction qui relève de la persuasion).
2-
Kant,
Critique de la raison pure, préface de la deuxième édition,
page 24. Comparons ces trois traductions.
a) "J'ai donc dû supprimer le savoir pour lui substituer la
croyance" traduit Barni
b) "Je dus donc abolir le savoir afin d'obtenir une place pour
la croyance" traduisent Tremesaygues et Pacaud.
c) "Il me fallait donc mettre de côté le savoir afin
d'obtenir de la place pour la croyance." traduit A. Renaut
-
D'un côté abolir, supprimer; de l'autre mettre de côté.
- D'un côté, obtenir une place, obtenir de la place; de l'autre
substituer
Dans tous les cas, comprendre que Kant limite le savoir et promeut la croyance. L'un ( la croyance)
ne peut aller sans
l'autre(la limitation des prétentions du savoir à tout régenter). Pour Kant, le
savoir dogmatique est l'origine de toutes les critiques contre la
croyance (la foi) et donc l'origine de l'incrédulité. En attaquant
victorieusement le savoir dogmatique, il libère la croyance des
critiques injustifiées. Il s'agit de distinguer le théorique et le
pratique que la métaphysique dogmatique confondait au point de
vouloir déduire le sensible de l'intelligible.
Reprenons
nos trois traductions et cherchons ce qu'elles veulent nous suggérer:
a) La croyance ne serait-elle qu'un pis-aller pour consoler celui qui
regrette de ne pas savoir? L'accent serait mis sur la lucidité.
b) Abolir le privilège du savoir c'est faire un acte de justice pour
donner à la croyance une place méritée. L'accent serait mis sur la
foi.
c) La traduction de A. Renaut a le mérite d'allier le souci de
justice (= la croyance mérite de la place) et de corriger ce que
pourrait avoir d'excessif le "supprimer" du a) sans pour
cela perdre le sens d'abolir.
Bien noter que a) et b) sont de bonnes traductions: Barni insiste sur
la lucidité de Kant (l'homme ne peut connaître que des objets
construits) alors que Tremesaygues
et Pacaud mettent l'accent sur la foi de Kant. Les deux sont bonnes
parce que Kant allie lucidité et foi.
Kant limite le savoir (nous ne pouvons pas avoir une intuition
intellectuelle du monde sensible puisque nous n'atteignons que des
objets construits: l'expérience sensible ne saurait nous faire
accéder au monde intelligible). Loin d'avoir son principe dans le
monde intelligible, le monde sensible a sa propre rationalité (le
déterminisme) qui ne relève pas de celle du monde intelligible.
Nature et liberté sont à distinguer radicalement.
Cela implique un dualisme du sujet, de l'homme: comme phénomène,
l'homme est soumis à la causalité et donc aux lois régissant
l'expérience; comme sujet moral il exerce la liberté de se
déterminer lui-même par la représentation de lois que sa raison
détermine. Savoir, ou plutôt connaissance, et croyance sont alors
conçues comme deux dimensions irréductibles du sujet humain. Vouloir
appliquer à l'une les règles valables pour l'autre c'est se noyer
dans la confusion.
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Concluons que toute propédeutique à une enquête sur le thème de la
croyance commence bien par la lecture de Platon et de Kant
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