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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS

L 'ART  , problématiques fondamentales (suite)

Du beau et du sublime

(par J. Llapasset)

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Kant, Critique de la faculté de juger: analytique de la faculté de juger esthétique, un tableau commenté sur le beau et le sublime (première et deuxième section)

Le Beau (section I.)

Le Sublime (section II.)

Forme. Limitation de l'objet.

Absence de forme, possibilité d'une représentation de l'illimité et de la pensée de la totalité.

Plaisir et sentiment: naissance directe.

Satisfaction naissant indirectement et émotion.
Mélange: on est attiré et repoussé.

Forme d'une finalité accordée à la faculté de juger.

Absence de finalité. 
Imagination bousculée.

On passe d'une manière d'appréhender (c'est beau marque une satisfaction liée au libre jeu de l'entendement et de la sensibilité) à une manière de penser (c'est sublime marque une é-motion (mouvement de l'esprit) autorisée par une perception): Dans le sublime, l'esprit est ému par la perception qui se présente d'une inadaptation (un écart) entre le sensible et l'Idée: il se détache du sensible pour s'élever aux Idées.
L'imagination est appelée à progresser à l'infini, alors que la raison exige la totalité absolue par l'Idée. C'est l'esprit qui est mis dans une telle disposition qu'il se met en mouvement. Le sublime fait donc apparaître une faculté de l'esprit, l'é-motion.

Une distinction capitale préalable à toute lecture de La critique du jugement: Le jugement déterminant et le jugement réfléchissant.

  • Le jugement déterminant. Lié à la satisfaction du vrai et du bien.

Quand je porte un jugement de connaissance, par exemple ceci est un cheval, je détermine une intuition sensible par un concept(ici empirique), je pense le particulier (telle forme sensible s'avançant dans le brouillard) comme compris dans l'universel. L'universel est donné par l'entendement, faculté des concepts et des catégories. L'entendement est pour ainsi dire équipé de concepts (ce avec quoi je prends, cheval) et de catégories (par exemple la causalité que nous retrouverons chez Schopenhauer).
Le jugement de connaissance est un jugement déterminant.

  • Le jugement réfléchissant, ou de réflexion.

Ici l'universel n'est pas donné: ce qui est donné c'est un objet particulier. La faculté de juger doit donc chercher (réfléchir) l'universel. Dans le jugement de beau et de sublime, le jugement réfléchissant, met en relation la représentation particulière avec le sujet, l'homme comme être raisonnable sensiblement affecté, et son sentiment de satisfaction: la satisfaction naît d'un état éprouvé par le sujet, produit par une activité, par un jeu libre de l'imagination et de l'entendement dans le jugement c'est beau par lequel j'en appelle à la liberté de chacun de contempler, d'exercer un jeu libre et harmonieux devant un objet limité: par forme, il faut entendre non le contour de l'objet mais l'unification d'une diversité en une unité, une finalité sans autre fin que l'oeuvre elle même, sans fin extérieure..
Le jugement c'est sublime, s'énonce devant un objet informe pour autant qu'il représente une dimension d'illimité sans que pour cela soit écartée la dimension de sa totalité exigée par la raison. Ici la satisfaction est associée à la représentation de la quantité. Le fait que le sujet éprouve une sorte d'admiration et de respect marque bien la présence de la raison. 

Dans le sublime, l'imagination qui est pouvoir de présentation a pour partenaire la raison, la faculté des Idées; alors que dans le beau, l'imagination a pour partenaire l'entendement, faculté des concepts.

On pourra maintenant lire avec profit, à la page 330 de la traduction Alain Renaut, GF Flammarion n°1088, la remarque I et page 332, la remarque II. surtout pour les Khâgnes qui devront aborder le thème de la raison: cela les éclairera sur la conception kantienne des trois sortes d'antinomies de la raison qui convergent toutes en un point: supposer quelque chose de supra- sensible dont le concept est seulement une Idée et ne permet nulle connaissance véritable. Kant ouvre une perspective à la croyance et ferme une porte à la connaissance..

Kant, Critique de la raison pure, préface de la deuxième édition, page 24. Comparons ces trois traductions.
a) "J'ai donc dû supprimer le savoir pour lui substituer la croyance" traduit Barni
b) "Je dus donc abolir le savoir afin d'obtenir une place pour la croyance" traduisent Tremesaygues et Pacaud.
c) "Il me fallait donc mettre de côté le savoir afin d'obtenir de la place pour la croyance." traduit A. Renaut

- D'un côté abolir, supprimer; de l'autre mettre de côté.
- D'un côté, obtenir une place, obtenir de la place; de l'autre substituer

Dans tous les cas, comprendre que Kant limite le savoir et  promeut la croyance. L'un ( la place pour la croyance)  ne peut aller sans l'autre(la limitation des prétentions du savoir à tout régenter). Pour Kant, le savoir dogmatique est l'origine de toutes les critiques contre la croyance (la foi) et donc l'origine de l'incrédulité. En attaquant victorieusement le savoir dogmatique, il libère la croyance des critiques injustifiées. Il s'agit de distinguer le théorique et le pratique que la métaphysique dogmatique confondait au point de vouloir déduire le sensible de l'intelligible.

Reprenons nos trois traductions et cherchons ce qu'elles veulent nous suggérer:
a) La croyance ne serait-elle qu'un pis-aller pour consoler celui qui regrette de ne pas savoir? L'accent serait mis sur la lucidité.
b) Abolir le privilège du savoir c'est faire un acte de justice pour donner à la croyance une place méritée. L'accent serait mis sur la foi.
c) La traduction de A. Renaut a le mérite d'allier le souci de justice (= la croyance mérite de la place) et de corriger ce que pourrait avoir d'excessif le "supprimer" du a) sans pour cela perdre le sens d'abolir.
Bien noter que a) et b) sont de bonnes traductions: Barni insiste sur la lucidité de Kant (l'homme ne peut connaître que des objets construits) alors que Tremesaygues et Pacaud mettent l'accent sur la foi de Kant. Les deux sont bonnes parce que Kant allie lucidité et foi.

Kant limite le savoir (nous ne pouvons pas avoir une intuition intellectuelle du monde sensible puisque nous n'atteignons que des objets construits: l'expérience sensible ne saurait nous faire accéder au monde intelligible). Loin d'avoir son principe dans le monde intelligible, le monde sensible a sa propre rationalité (le déterminisme) qui ne relève pas de celle du monde intelligible. Nature et liberté sont à distinguer radicalement.
Cela implique un dualisme du sujet, de l'homme: comme phénomène, l'homme est soumis à la causalité et donc aux lois régissant l'expérience; comme sujet moral il exerce la liberté de se déterminer lui-même par la représentation de lois que sa raison détermine. Savoir, ou plutôt connaissance, et croyance sont alors conçues comme deux dimensions irréductibles du sujet humain. Vouloir appliquer à l'une les règles valables pour l'autre c'est se noyer dans la confusion