(De la
phrase liminaire à celle qui termine le chapitre X)
On
se condamne à ne rien comprendre aux difficultés dans lesquelles
se débat Condillac si on oublie qu'il s'agit de l'Abbé de
Condillac et que l'Abbé ne perd jamais de vue l'intérêt de la
morale et la défense de Dieu, sans jamais perdre de vue la
nécessité d'observer les commencements.
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"Il
serait peu curieux de savoir ce que sont les bêtes, si ce n'était
pas un moyen de connaître mieux ce que nous sommes ... Il ne faut
pas s'imaginer qu'en nous comparant avec eux, nous puissions jamais
comprendre la nature de notre être *: nous n'en pouvons découvrir
que les facultés, et la voie de comparaison peut être un artifice
pour les soumettre à nos observations."
(T.D.A,
début de l'introduction)
*
"Notre âme n'est ...pas de la même nature que
celle des bêtes." (T.D.A,
page 510, voir la fin du chapitre VII) |
"Je
veux, ne signifie pas seulement qu'une chose m'est agréable, il
signifie encore qu'elle est l'objet de mon choix: or on ne choisit
que parmi les choses dont on dispose. On ne dispose de rien, quand
on ne fait qu'obéir à ses habitudes: on suit seulement l'impulsion
donnée par les circonstances. Le droit de choisir, la liberté,
n'appartient donc qu'à la réflexion. Mais les circonstances
commandent les bêtes, l'homme au contraire les juge: il s'y prête,
il s'y refuse, il se conduit lui même, il veut, il est
libre."
(T.D.A, Fin du chapitre X) |
Essayons de mesurer un écart, un enjeu, et la stratégie d'un Abbé dans
une situation impossible.
Il ne s'agit pas de comprendre mais de connaître par une comparaison
entre les facultés de l'animal et celle de l'homme. L'affirmation
liminaire du T.D.A. nous laisse deviner que l'animal ne sera qu'un
modèle, un instrument qui permettra par comparaison de mieux connaître
nos facultés: la comparaison sera un chemin qui peut faire connaître,
faire voir, mieux observer non la nature de l'homme qui est autre que
celle de la bête mais des facultés comme l'intelligence, la mémoire ...
Ce que nous sommes restera un mystère qui nous est propre (l'âme), mais la
comparaison fera apparaître ce qui permet des performances.
La comparaison avec les animaux ne peut nous donner, par ressemblance,
aucune information sur la nature de notre être, parce que, par la
liberté et par notre capacité de choisir nous nous écartons
radicalement de la créature animale. A nous la responsabilité, à nous
les châtiments, qui pour l'Abbé ne peuvent se comprendre que par la
péché originel. En accordant la sensibilité à l'animal, Condillac lui
accorde la souffrance. En lui refusant la liberté et la responsabilité,
il rend incompréhensible cette souffrance qui s'élève comme un cri de
colère vers un Dieu et qui fait peser sur lui le soupçon de l'injustice
ou de l'impuissance. On comprend dans quel embarras se trouve l'Abbé de
Condillac.
Les difficultés qui attendent Condillac apparaissent donc être à
l'origine de ce commencement. La pertinence de cette affirmation première
exige en effet d'une part que l'animal ne soit pas expulsé à une
extrémité opposée qui empêcherait de l'utiliser comme instrument de
comparaison pour connaître les facultés de l'homme: l'animal ne saurait
être réduit à un ressort aveugle, au statut d'une horloge dont la
nature privée de sensibilité serait purement mécanique; d'autre part,
il ne s'agit pas de trop rapprocher l'animal de l'homme pour préserver la
responsabilité de l'homme, sa liberté et du même coup déclarer Dieu
innocent d'une punition bien méritée.
Pour que l'animal puisse jouer le rôle d'un modèle il faut redresser le je
pense cartésien qui l'exclut absolument et le renvoie au statut de
machine: on brise un animal comme on brise une horloge penseront les
Cartésiens qui durcissent singulièrement la pensée de Descartes. En deçà
du je pense, pour Condillac, il y a la corporéité et avec elle un
je sens existentiel qui permet d'accorder à l'animal non seulement la
sensibilité mais même une "condition au volontaire." (T.D.A,
page 528).
(p.0 Mise
à niveau - p.1
- p.2 - p.3)
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