Une
telle " refondation " ne peut cependant être
envisagée qu'au prix d'une seconde révolution. Cette révolution
concerne l'organisation et le fonctionnement des institutions.
Elle consiste à replacer la personne au centre de leur
action. Dans l'optique de " l'Etat minimaliste ", la
solidarité est organisée de manière plutôt parcimonieuse
et résiduaire. Dans celle de " l'État constructiviste
", elle est décrétée et plutôt procédurière. Dans
l'un et l'autre cas, le formulaire est roi, la hiérarchie
domine et la bureaucratie étend ses tentacules. Les bénéficiaires
de la solidarité ont des démarches à accomplir, tantôt
pour faire admettre leur état de nécessité, tantôt pour
obtenir l'exécution de leurs droits. Qu'il soit "
minimaliste " ou " constructiviste ", l'État
fondé sur le paradigme individualiste ne traite qu'avec des
administrés et des assujettis. Il ne les connaît que par les
qualités fonctionnelles qui les définissent. La crise de l'Etat-Providence
n'apparaît pas uniquement comme une crise financière et une
crise de la solidarité. Elle traduit aussi une crise de la
bureaucratie. Qu'est-ce que la bureaucratie sinon le doublon
du marché ? D'un côté comme de l'autre, n'a-t-on pas
affaire à des modèles experts en dépersonnalisation ?
L'État personnaliste s'affirme comme un État agile et "
pro-actif ". Cela signifie d'abord qu'il pratique une
veille sociale en anticipant l'évolution des besoins. Ce
n'est pas un État conservateur et codificateur. Il n'attend
pas que les catastrophes se produisent pour réagir. En ce
sens, c'est un État stratège et adaptatif. S'agissant des
relations avec les personnes, cela veut dire surtout que cet
État n'attend pas qu'on vienne le solliciter en remplissant
des formulaires. Il se montre capable d'écoute au cas par
cas. De plus en plus, l'état de besoin des personnes apparaît
lié à une histoire qui leur est propre davantage qu'à des
appartenances sociales ou sociologiques. Les accidents sociaux
sont moins qu'avant définissables en termes de risques
collectifs que l'on peut associer à des catégories précises
de la population. Le phénomène de la " nouvelle pauvreté
" l'illustre. Le devoir d'écoute ne devrait-il pas aller
jusqu'à un devoir de sollicitude quand on considère que de
nombreuses situations de besoin ne sont pas détectées si
l'on ne prend pas l'initiative d'aller vers les personnes en
difficulté ?
Cette nouvelle approche de la solidarité, l'État ne peut
l'assumer seul. Ce n'est ni souhaitable, ni réalisable. Des
relations de partenariat doivent être nouées dans le secteur
non marchand entre les institutions publiques et les
organisations qui émanent de la société civile. C'est dans
cette optique qu'il convient de compléter le schéma de la
" refondation " idéologique de l'État par une
" réactualisation " du principe de subsidiarité.
Parce qu'elle repose sur une anthropologie, l'idéologie
personnaliste confère au principe de subsidiarité une
dimension constructive plutôt que défensive. Pour rappel, ce
principe indique que l'organisation de la réponse aux besoins
doit être située le plus près possible des personnes
concernées. Autrement dit, lorsque le choix s'offre entre
différents niveaux d'organisation d'égale efficacité, il
faut privilégier le niveau le plus proche des personnes.
La véritable finalité de la subsidiarité n'est pas défensive
mais constructive. Elle réside dans la nécessité de
permettre à l'esprit de solidarité de se nourrir du vécu
des personnes, à la base. C'est dans la relation avec le
" prochain proche " que l'esprit de solidarité
prend son envol vers le " prochain lointain ".
Puisque dans l'idéologie personnaliste les institutions sont
perçues comme le prolongement des personnes, un lien de
continuité doit pouvoir s'affirmer entre la solidarité
courte et la solidarité longue. Le fil ne doit pas être
rompu. Il faut que le courant de la solidarité passe depuis
le lieu où il s'origine, dans le face-à-face, jusqu'aux
lieux plus distants où il s'actualise peut-être finalement
de la manière la plus éthique qui soit, dans la relation
avec les inconnus. La solidarité la plus forte n'est-elle pas
celle où le lointain est traité comme le prochain ?
Vers la
Page 7 Replacer la personne au centre des
institutions (2)
|