= On croit s'en tirer à bon compte en assignant une
intelligibilité extrinsèque à l'objet
mental édifié comme pensée de l'histoire. Mais cela revient
à importer un sens étranger à l'objet ce
qui a pour conséquence de lui interdire toute prétention à
un sens. Le sens en effet appartient à une Providence que
l'on peut aussi bien appeler Dieu ou la raison.
Ce faisant,
d'une certaine manière, on nie la liberté donatrice d'un
sens, puisque même le déni du sens comme dans les passions a
un sens qui ne relève par du devenir historique lui même.
Cette intervention d'un deus ex machina ne fait que souligner
l'absence de sens de la machine réduite à elle même,
puisque peu importe ce qui est fait par les acteurs, par le
hasard comme la nécessité. |
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= La
difficulté est aussi grande pour celui qui veut penser
l'histoire en édifiant une représentation rationnelle, un
objet mental dont l'intelligibilité serait purement intrinsèque,
propre à cet objet, suffisante pour ainsi dire.
Dans ce cas, le lien, ou l'ordre si l'on préfère,
appartiendrait à la représentation rationnelle et en
constituerait la rationalité, le sens. Cela ne revient-il pas
à faire de l'objet mental un absolu mystique, ce qui a sa
raison d'être en soi, ce qui suffit pleinement comme une
cause totale suffit à expliquer tout ce dont elle est la
cause, ce qui mérite le sacrifice de la vie?. Cette volonté
de penser l'histoire par une intelligibilité intrinsèque
interdit de faire intervenir autre chose que le processus du
devenir historique, le processus causal antécédent qui en
est le moteur. Le devenir ressemble à une nature.
On en vient alors à demander quelle est la nature de ce
devenir, quel est son sens, sa signification et son
orientation. Est-ce le déploiement déterminé d'une nature
dans laquelle se jouent le hasard et la nécessité ou est-ce
l'expression d'une liberté qui en faisant se fait.
La difficulté
se réduit donc à l'articulation du continu d'une nature et
du discontinu d'une liberté, celle d'une être mixte, un être
raisonnable sensiblement affecté qui appartient à la nature
mais qui est aussi capable de liberté.
Dans tous les cas, continuité et discontinuité évoquent la
lutte, le combat, la confluence de ce qui se fuit, de l'ancien
régime et de la nouveauté: le résultat du combat est l'émergence
d'un événement dans l'actualité, l'effacement d'un ancien régime
qui laisse place à une modernité effrayée qui se drape dans
des habits surannés.
Le sens est
donc celui de l'enfantement, de l'émergence d'une modernité
vivante au sein d'un héritage du passé que cette modernité
nie et qui la nie. Le sens apparaît donc d'abord comme ce qui
est mu par la contradiction, par la lutte, par le combat qui
est le père de toute chose humaine.
Penser l'histoire reviendrait alors à révéler ce qui se révèle,
le sens donné par la contradiction, au cœur du devenir,
entre ce qui a été et ce qui apparaît comme fruit du
combat.
Penser le
sens de l'histoire, que l'on croit à la providence ou au déterminisme
dialectique, c'est toujours faire de la mystique, s'élever
vers ce à quoi rien de sensible ne correspond, par exemple
vers des idées comme le progrès ou l'idéal social, c'est
dans tous les cas se tourner ou bien vers le passé (que les
temps sont changés!) vers le présent qui fuit (quelle époque!)
ou encore vers l'avenir (nous préparons des lendemains qui
chantent), ou vers l'Éternité. Vers ce qui n'est plus, ce
qui fuit, ce qui n'est pas encore: il s'agit bien de penser ce
qui ne peut-être connu!
De ce fait il
est possible d'affirmer que toute pensée de l'histoire est
temporalisation: elle se déploie nécessairement, en
assignant un sens de l'histoire, selon une des trois ekstases
du temps.
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