Si
la seule manière de correspondre aux desseins secrets de la
Providence, c'est d'obéir aux représentants de Dieu et de
l'ordre, c'est à dire à l'autorité du Cardinal de Richelieu,
alors cela signifie que toute autorité émane de Dieu et de l'État.
C'est dire que l'ordre divin qui échappe à la conscience
immédiate comme à la conscience réfléchie ("Je crois
parce que c'est absurde"), se figure dans l'ordre politique
comme impératif que l'on ne discute, comme exigence d'un devoir
relevant de la conscience morale.
En ce sens Rousseau affirmera
que celui qui désobéit aux lois, désobéit à Dieu. Corneille
et Rousseau ont été soupçonnés de totalitarisme, dans la
mesure où l'État étant relié à l'infini, l'individu devient
un zéro : dans ce cas c'est bien normal de lui enjoindre le
sacrifice des sentiments. Parlant de cet ordre étatique,
Camille affirme
"Notre sang est son bien, il peut en
disposer." Horace, V. 2
Le reflet de Dieu sur le visage
du roi rayonne jusqu'à l'individu, le purifie, jusqu'à lui
nier son être, le sentiment, au point de le réduire à zéro:
seul l'accomplissement du devoir peut le faire être.
L'État, représentant de Dieu,
ne peut que consentir aux conditions incontournables voulues par
la Providence (La guerre aura lieu), et singulièrement à ces
guerres dont il est impossible d'éviter l'inhumanité ou si
l'on préfère la monstruosité. |
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Tout est dit, "Les
Dieux à notre Énée ont promis cette gloire." :
que l'on considère qu'il serait dans ces conditions sacrilège
et vain d'aller contre une promesse divine quel que soit le
coût de la guerre.
Cela confirme que le sentiment
de l'individu n'a pour horizon que le sujet qui le maîtrise, ce
qui justifie le totalitarisme d'un État dans lequel on ne peut
évoquer le sentiment que parce qu'il donne l'occasion
d'accomplir un devoir en réalisant sa propre gloire et , ce
faisant, en se réalisant soi même.
Que le ciel ne tienne pas compte des sentiments signifie
simplement qu'il est par essence inhumain, que ses projets et
ses pensées ne sont pas humains: ses décrets paraîtront
toujours inhumains: il exige le don de soi et le sacrifice.
Il ne faut donc pas tenir
compte des sentiments lorsque l'État commande au nom de
l'autorité que les Dieux lui confèrent par délégation. En
particulier, dans les crises et dans les guerres "Le
ciel agit sans nous." (Horace III, 3).
Ainsi, pour Corneille, penser l'histoire c'est saisir son
articulation nécessaire à une nécessité inéluctable. C'est
que l'ordre rayonne dans le devenir temporel parce que le
devenir historique est dans sa forme sinon toujours dans son
contenu, prédestiné par l'ordre providentiel.
Si le sacrifice de l'individu est exigé c'est parce que
l'inhumanité structure le devenir, inhumanité qui apparaît à
la conscience humaine comme monstruosité; mais des lendemains
qui chantent (pour la gloire) se préparent.
Il reste à obéir
intelligemment. Il est toujours possible de choisir un combat
monstrueux et inhumains parce que fratricide, plutôt qu'une hécatombe
guerrière inhumaine et monstrueuse. C'est une question
d'économie. Le héros y trouvera une occasion, sous les regards
de tous, de se hausser jusqu'à son créateur en s'identifiant
à l'ordre de la raison, ordre qui exclut la passion et le
sentiment.
Dans le totalitarisme non
seulement on n'échappe pas à l'inhumanité, non seulement on
ne s'évade pas, mais le totalitarisme lui même se nourrit de
monstruosité, d'inhumanité et de sélection.
"Albe vous a choisi, je ne vous
connais plus." (Horace II, 3)
C'est dire la distance entre le zéro, qu'est l'individu et
l'infini, qu'est l'État.
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