"Le
voyageur... regarde avec regret et douleur le point où
il a commencé de s'égarer. Ainsi, c'est à la
publication de l'Essai historique que je dois marquer le
premier pas qui me fourvoya du chemin de la paix... Il y
a des moments où notre destinée, soit qu'elle cède à
la société, soit qu'elle obéisse à la nature, soit
qu'elle commence à nous faire ce que nous devons
demeurer, se détourne soudain de sa ligne première,
telle qu'un fleuve qui change son cours par une subite
inflexion."
Chateaubriand,
Mémoires
d'outre-tombe. Livre onzième, chapitre II, pages 676 et 677. |
1-
La fragmentation et ce qui la produit, dans l'action et la
passion. IL
s'agit d'une rupture de continuité, d'une brisure, d'une
discontinuité, d'une révolution qui, en changeant le sens,
change du même coup la signification de la route suivie.
-
a)
Le choix libre de Chateaubriand a été la paix: la ligne
première au bout de laquelle la rupture se réalise dans
l'instant: on change le sens par une subite inflexion.
-
b)
Cela revient à suivre un autre chemin que celui qu'on a
librement choisi: c'est produit par un manque de
prévoyance et de maîtrise de soi. On cède, on obéit,
on laisse faire, on s'abandonne à des conditions
extérieures:
la
société par désir de paraître: "J'espérais un
grand succès de l'ouvrage."
La nature, la recherche du plaisir, en
s'abandonnant par exemple à une passion amoureuse,
Ou en laissant faire la destinée, c'est à dire le
cours des événements qui composent une vie humaine. |
--
|
2-
La fragmentation de la vie d'un individu.
D'abord
par le temps, les glaces de la vieillesse succèdent à
l'élan créateur de la jeunesse. La fragmentation vient aussi
de ce que l'on cède à la société, que l'on suit la nature
ou encore que les événements contingents, le hasard,
interviennent; enfin il y a les événements nécessaires, la
fatalité.
Notez
l"idée de commencement. Se détourner, se convertir,
subite inflexion.
Fourvoya = me mit hors du chemin de la paix, me
détourna de mon premier choix libre. (on relira avec profit
les premières pages des Confessions de Rousseau qui
ont marqué Chateaubriand).
3-
Lucidité de Chateaubriand.
C'est
un égarement que de vouloir penser l'histoire par l'histoire
parallèle des révolutions: on ne peut que penser l'histoire
comme continuité de la fragmentation. C'est ce qui fait la
réalité historique et qui lui donne une signification selon
que l'homme obéit au meilleur de lui même (artisan de paix)
ou qu'il se laisse aller à subir les passions infligées par
le temps et les conditions.
L'histoire
épouse le mouvement du temps. La réalité historique comme
fragmentation se brise sans cesse. Ainsi le sens,
l'orientation et surtout la signification de l'histoire, c'est
la réalité historique:
signification de l'histoire = réalité historique.
La
solution au problème auquel se heurte un effort pour penser
l'histoire, problème posé par l'insertion réciproque de la
continuité et de la discontinuité, sera de prendre
l'histoire de sa vie comme paradigme (= exemple qui éclaire)
du devenir historique et par ce moyen révéler une
signification, un sens de ce devenir.
|