"Il
(le vieillard) est d'une race différente de l'espèce
humaine au milieu de laquelle il achève ses jours."
Chateaubriand,
Mémoires
d'outre-tombe. Livre neuvième, chapitre I, page 591. |
Comment
mieux marquer la rupture, sinon la brisure, entre deux
générations qui se succèdent!
Comme s'il n'y avait pas une même famille, comme s'il n'y
avait pas le même sang! Contre cette apparente rupture là
où il y a la continuité du fil de l'histoire, Chateaubriand
s'insurge au nom de l'humanité. Il lui faut donc trouver et
cerner ce qui fait le fil de l'histoire au creux même de la
discontinuité.
Chateaubriand
avait compris qu'il était vain de tenter une histoire
parallèle des révolutions: chaque révolution est unique et
défie donc l'amalgame où tout effort pour dégager des
caractères essentiels de la révolution. Il n'y a que des
révolutions. Le temps ronge tout, tout se métamorphose,
chaque période exige donc un ajustement du discours à son
objet, à ce qu'elle est. |
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Il
s'agit bien de ne pas confondre la libération et la tyrannie
qui paraît lui succéder. Tyrannie monstrueuse et inhumaine
parce qu'elle nie la liberté, parce que:
"Le
peuple souverain étant partout quand il devient tyran,
le tyran est partout."
Chateaubriand,
Mémoires
d'outre-tombe. Livre neuvième, chapitre I, page 559. |
Ainsi
tout élan retombe et ce qui lui succède diffère, comme une
caricature qui le singe. Autant dire que l'élan se solidifie,
se pétrifie avec le temps en une matière qui sert de
tremplin pour un autre élan, une autre jeunesse, ou pour une
comédie, dans un perpétuel balancement de l'avant à
l'après. Comment
trouver ce fil de l'histoire qui semble sans cesse échapper,
un fil de l'histoire qui ne permettrait pas cependant de
prévoir, de calculer le futur, pour laisser une place à la
discontinuité? Chateaubriand
le trouve dans l'exemplarité , l'instruction et l'éducation,
par la transmission d'une vertu dont se nourrit ceux qui vont
produire l'élan suivant. Chaque nouvelle période doit donc
le respect à la génération qui disparaît car elle a puisé
en elle cette vertu sans laquelle rien de pleinement humain
n'est possible: l'invention de l'humain par la liberté.
Le fil de l'histoire se trouve dans cette Vertu des anciens
dans l'instruction, l'éducation et l'exemple. Alors on
comprend les ruptures et la continuité, dans une immense
chaîne des libertés, qui se haussent sans cesse en inventant
leur propre chemin.
"Et
pourtant, France du dix-neuvième siècle, apprenez à
estimer cette vieille France qui vous valait. vous
deviendrez vieille à votre tour et l'on vous accusera,
comme on nous accusait de tenir à des idées surannées.
Ce sont vos pères que vous avez vaincus. Ne les reniez
pas, vous êtes sortie de leur sang. S'ils n'eussent
été généreusement fidèles aux antiques mœurs,
vous n'auriez pas puisé dans cette fidélité native
l'énergie qui a fait votre gloire dans les mœurs
nouvelles. Ce n'est entre les deux France, qu'une
transformation de vertu."
Chateaubriand,
Mémoires
d'outre-tombe. Livre neuvième, chapitre I, page 559. |
Reste
que penser l'histoire ne peut se faire que dans cette
limite: si la complexité de chaque révolution fait de cette
révolution un événement unique, il n'y a qu'un fil de
l'histoire qui permettra de la penser. Le flambeau du progrès
par l'invention de nouvelles formes de liberté se passe d'une
génération à l'autre par la vertu pour peu que chaque
génération l'exerce. Disons par ce qui fait de la vertu une
forme , la même quelle qu'en soit la matière. Ainsi
pour Chateaubriand:
"La
menace du plus fort me fait toujours passer du côté du
plus faible."
Chateaubriand,
Mémoires
d'outre-tombe. Livre neuvième, chapitre I, page 544. |
Par
cette vertu il s'élève à l'universalité, à l'humanité.
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