S'il
est vain de chercher dans le devenir même l'absolu, ce qui a
sa raison d'être en soi, il faut chercher l'intelligibilité
de l'absolu dans une sorte de cocher divin que Chateaubriand
appelle Providence, et que Hegel appelle Raison dans
l'histoire. Penser l'histoire sous la catégorie de la
Providence divine c'est du même coup combler ce désir d'être
fondé qui hante l'individu. Un système relatif ne pouvant se
fonder lui même rationnellement, il faut se tourner vers un
absolu fondé en lui même: ce qui a sa raison d'être en soi.
Reste que, l'existence ne se déduisant pas, c'est l'objection
majeure à toute pensée de l'histoire.
Penser
l'histoire c'est donc agir, gagner une victoire sur la
relativité, sur la mort, en arrachant quelque chose au passé
par une oeuvre qui défie la disparition car elle rayonnera d'Outre-tombe,
pour ainsi dire en sortant de la tombe comme le bras de
Rousseau tenant un flambeau sort de la tombe au Panthéon.
Dans
tous les cas il s'agit de sauver quelque chose de vivant comme
si on ne mourrait pas, on passait simplement du devenir
temporel à l'éternité. |
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Il s'agit d'exorciser la condition
humaine qui fait que tous les jours sont des adieux, t ce
faisant de rétablir la rationalité.
La
mémoire n'est donc qu'un instrument, alors que c'est la pensée
de l'histoire qui sauve le vivant: on ne meurt pas. Cela est
élevé au rang de paradigme parce que le devenir d'un
individu épouse l'histoire de l'humanité:
"Le sort des hommes, la destruction des empires, les
desseins de la providence se présentaient à ma mémoire en
s'identifiant aux souvenirs de ma propre destinée."
La
fin d'une vie échappe au temps individuel pour devenir une
grande date du destin de l'humanité. Penser l'histoire pour
l'auteur des Mémoires c'est la penser comme une grande
fresque peinte par un Dieu qui a besoin des hommes. Ainsi
l'auteur, inspiré par le thème de la mort, nous peint un
confluent, une conjonction grandiose de son destin personnel
et du destin du monde. L'aurore d'une éternité où est enfin
abolie cette distinction du passé, du présent et de
l'avenir, dont nous souffrons tous.
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