Doute sur soi,
angoisse, peur de l'inconnu ... pour éviter un malentendu.
Pour la plupart des individus, la maladie a un effet iconoclaste:
qu'est-ce à dire?
Le grec clastein signifie briser. Le
grec eikonos désigne la peinture au
sens de l'image qui ne ressemble pas nécessairement au modèle, surtout
si le modèle s'éloigne dans le brouillard du passé. Ce qui est dans le
passé est mort, il ne résiste pas à l'image qu'on en a, il peut être
modifié.
Comprendre que le modèle c'est principalement le corps et que l'image est
une représentation du corps dont on croit se souvenir et qui relève
davantage de l'imagination que de la réalité. Or, toute maladie a un
impact sur le corps et sur ses performances, elle y inscrit des marques ou
même des cicatrices. Bien entendu, comme on ne saurait dissocier le
psychosomatique en deux domaines, le corps pour le médecin et le mental
pour le psychiatre, à ces marques imprimées sur le corps correspond une
baisse des performances mentales, par exemple de la mémorisation ou de
l'agilité d'esprit.
C'est dans la mesure où la maladie marque que l'image d'un corps sain qui
ne correspond plus à rien est iconoclaste. Le malade se sent
atteint dans son corps, dans ce corps qui est le médiateur absolu avec
son monde et qu'il aime le plus souvent ou, tout au moins, à qui il sait
gré de se faire oublier dans la pleine santé: c'est dire qu'à travers
son corps c'est son esprit et son monde qui sont atteints, au risque
d'être progressivement brisés s'il ne "croit" pas
retrouver la santé.
Parce qu'elle est souvent iconoclaste, la maladie affaiblit le Je peux
du patient et en conséquence le fait douter de l'avenir inconnu, alors
qu'il croit se souvenir, que jadis, il s'élançait vers l'avenir plein
d'espoir. En fait, il se prend à douter de sa capacité à assurer le
changement. Il est clair que l'image du passé souvent, lumineux parce
qu'embelli, l'attire en arrière, et que son sentiment d'impuissance le
ramène à l'état de l'enfant qui attendait tout de sa mère et de son
père, et qui les cherchait comme une planche de salut. Le médecin va lui
apparaître comme une planche de salut par un transfert.
Il présente
pourtant au médecin l'image d'un adulte, correctement vêtu, le plus
souvent socialisé et cultivé.
Si le médecin n'a pas aussi le point de vue que lui donne la conception
de la maladie iconoclaste, un malentendu risque de s'installer, chacun
étant aveugle à la personne qu'il rencontre. La souffrance du
malade sera ignorée et seule la douleur sera prise en compte.
Comment, si le médecin ne comprend pas son patient, s'il ne saisit pas le
sens (= orientation et signification) des signes pourra-t-il aider à
supporter la souffrance ou à en diminuer l'intensité?
Il s'agit bien
d'aider son patient à s'assumer par une prise de conscience c'est
à dire à reconnaître ce qu'il projette sur son interlocuteur, le poids
d'une demande insensée et aliénante. Prendre conscience de quoi?
- que l'image de son corps en pleine santé dans le passé est le fruit de
son imagination. Déjà, des petites blessures le "houspillaient".
Que le corps le est toujours souffrant du simple fait qu'il est passion,
qu'il relève du soi qui s'éprouve soi même, que plus cette "bonne
santé" s'éloigne dans le passé, plus elle se pare des mirages de
l'imagination et plus sa perfection usurpée désespère le présent.
- Que l'image qu'il a du médecin relève de sa régression à un stade
infantile et que, en réalité, il n'a en face de lui, ni un père, ni une
mère ou même un interlocuteur semblable à celui qui dans les jeux de
l'enfance cherchait à palper et à voir plus qu'à soigner. (cf. Le jeu
du docteur des enfants, son ambivalence, son voyeurisme des organes
sexuels).
- Que la maladie ne brise pas
le corps mais une image d'un corps qui n'a jamais été tel qu'elle le
présente. Elle résume en fait les relations mouvantes et parfois
conflictuelles entre le malade et son corps, au jour de l'amour qui
n'exclut pas le reniement. Mais comment renier ce à quoi on est attaché
jusqu'à la mort, ce corps propre que l'on est et qui se présente aussi
comme un corps objet auquel on ne saurait être réduit? Dans le meilleur
des cas, ce faisant, le patient accompagné par son médecin découvre et
comprend l'origine réelle des symptômes qu'il vit comme souffrance: peur
de l'inconnu, doute sur soi, angoisse d'autant plus tragique que
l'angoisse n'a pas d'objet déterminé que l'on pourrait conjurer et que
c'est toute son existence qui se phénoménalise comme angoisse.
Les conditions
d'une rencontre malade-médecin sont donc réunies: conditions
nécessaires mais non suffisantes.
Joseph
Llapasset ©
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