Psychologie au sens d'un effort de compréhension intuitive - de sa
propre personnalité, de celle d'autrui et des situations dans lesquelles je
et l'autre se rencontrent au cours de ce que l'on appelle la
pratique médicale exercée par le corps médical.
Cet effort de compréhension intuitive a bien entendu pour objectif
de repérer les conditions d'une rencontre malade - médecin qui permette
d'éviter les malentendus.
De quels malentendus peut-il s'agir?
Dans tous les cas, il s'agit de divergences d'interprétation entre
personnes qui croient se comprendre alors qu'elles rencontrent l'autre à
travers une image issue d'un désir de l'enfance, ce que Freud détermine
si bien comme le désir de sécurité, de protection et d'immortalité.
L'objectif de cette psychologie médicale est donc de dégager les
conditions d'une rencontre de l'autre dans sa réalité en amenant chacun
à éviter le malentendu engendré principalement par une interprétation
de l'autre, interprétation a priori, indépendante de la réalité en
présence de laquelle elle se trouve:
- En fait, le "malade" interprèterait le médecin
comme ce père qui dans son enfance était sensé lui porter la
sécurité, le protéger, en le rassurant, du mal être de la souffrance,
de la peur de la mort, en l'arrachant ainsi au désespoir cette maladie
mortelle d'autant plus terrible, selon Kierkegaard, que l'on n'en meurt
pas.
Un tel malentendu ne peut être levé que si le malade devient un sujet et
appréhende sa folie de demander à un autre homme, à une existence, de
le guérir de l'existence: en prenant conscience de cette folie il peut
alors distinguer le possible et l'impossible et rectifier lui même
l'irrationalité de sa demande et la remplacer par une demande plus
rationnelle, plus raisonnable, parce qu'elle porte sur le possible: dans
le meilleur des cas, s'il suit ce mouvement, le malade a grandi car
il a découvert que le médecin n'était pas ce père qu'il désirait, qui
aurait pu le faire échapper à l'incroyable fragilité de son être ou à
la mort, mais un semblable dont la reconnaissance lui importe
moins car on ne peut donner ce qu'on ne possède pas.
De même le médecin, dans un premier moment, armé de tout ce
qu'on lui a appris ou qu'il a ingurgité, se rassure en concevant le
patient comme absolument hétérogène à lui même: le malade n'est-il
pas, en puissance, l'objet susceptible d'être pesé, mesuré,
"radioscopié", ouvert par un scalpel, examiné ... Là encore
le malentendu naît d'une interprétation, une sorte de précompréhension
prédéterminante aveuglante.
- Reste que la
rencontre médecin / malade n'est jamais neutre et que, un dialogue peut
toujours s'instaurer malgré les précautions du praticien, malgré sa
cuirasse: or dès qu'un dialogue s'instaure cela implique deux personnes
qui cherchent ce qu'ils ne savent pas. D'un mot, d'une expression, d'une
allusion à une expérience commune peut toujours jaillir un éclairage
sur le patient mais aussi sur le médecin lui même. Le malentendu
"saute" alors et l'hétérogénéité rassurante médecin
- malade s'écroule: non seulement le médecin découvre qu'il dialogue
avec son semblable sur fond d'une condition humaine commune mais du
dialogue la vérité peut très bien refluer sur lui! Si l'humilité n'est
pas son fort, il prendra cela en pleine figure, le maître étant renvoyé
à sa condition et à sa déréliction.
La rencontre médecin - malade peut-on donc être un instrument de
vérité vers "ces secrets que je crains de savoir" et que je
préfère projeter sur un interlocuteur. Apparaîtra la folie du malade,
la folie de sa demande mais aussi celle du médecin qui le transforme en
objet, et qui se croit protégé par les écrans et les examens qui n'en
finissent pas ...
C'est dire que
toute psychologie médicale sera aussi, dans son mouvement même,
psychanalyse. Sa pénétration dans la formation , paradoxalement, sera
d'autant plus difficile que les médecins confondront la médecine avec
une science. Il est donc tout à fait souhaitable qu'une telle psychologie
médicale soit optionnelle, puisque, elle ne peut procéder que par
la maïeutique du "c'est toi qui le diras", et que cette parole
exige un engagement personnel et libre comme conditions de possibilité.
La psychologie médicale a donc pour ambitions d'amener à reconnaître le
sens de la maladie, le sens de la pratique médicale, pour, par le
dépassement des malentendus, permettre une rencontre au cours de ce qu'on
appelle une consultation, le tout sur fond de cette condition humaine
partagée dont l'ambiance est toujours tragique.
Alors le médecin découvrira qu'il est impliqué dans sa recherche, que
sa recherche l'amène à mieux se reconnaître lui même, au risque de se
changer: alors il sera capable de cerner un problème et de proposer une
solution qu'il n'a pu trouver que parce que, en parlant à son semblable
il se parle aussi bien à lui même, ce qui lui permet de le comprendre en
se comprenant. Tous les deux sont accrochés aux tuiles d'un toit qui
glisse sans cesse, tous deux s'effrayant de l'incroyable fragilité de
leur être, cherchent d'abord à se rassurer contre l'imminence de la
mort. A cette imminence, aucun n'a de remède, et ce n'est que lorsque
l'impossible espoir sera abandonné, qu'une espérance portant sur le
possible sera établie.
Joseph
Llapasset ©
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