De l'animal à l'homme ?
"Le logicien pourrait avertir le biologiste que ses efforts pour « comprendre» le fonctionnement entier du cerveau humain sont voués à l'échec
puisque aucun système logique
ne saurait décrire intégralement sa propre structure. ...
cette objection logique ne s'applique pas à l'analyse par l'homme du système nerveux central d'un animal.
... Même dans ce cas, cependant, il demeure une diffi culté majeure: l'expérience consciente d'un animal nous est impénétrable et sans doute le sera-t-elle toujours. Peut-on
affir mer qu'une description exhaustive du fonctionnement du cer veau d'une grenouille, par exemple, serait possible, en principe, alors que cette donnée demeurerait inaccessible? Il est permis d'en douter. De sorte que l'exploration du cerveau humain, malgré les barrières opposées à l'expérimentation, demeurera toujours irremplaçable, par la possibilité qu'elle offre de comparer les données objectives et subjectives relatives à une expérience."
Jacques
Monod, Le hasard et la nécessité, page 162 |
Seule l'exploration du système nerveux central permettrait de saisir
l'élément logique primaire, la synapse, dans lequel "réside
l'ultime secret de la mémoire", pour Jacques Monod.
Cette exploration devrait être complète. Or la logique semble interdire
la possibilité même de cette exploration dans la mesure où selon le
théorème de Kurt Gödel (1906-1978 logicien et mathématicien) aucun
système ne peut se dire complètement: en effet si un système possède n
éléments pour se décrire complètements, il lui faudrait au
moins n+1 éléments ce qui n'est pas le cas
puisqu'il a seulement n éléments.
On pourrait
supposer que le système nerveux central d'un animal pourrait permettre de
s'orienter le système nerveux central humain à la seule condition
qu'il n'y ait entre lui et celui de l'homme qu'une différence de
complexité, de quantité et non de nature. En tout cas, comme le système
de l'animal est moins complexe que celui de l'homme, l'objection logique
de Gödel ne vaudrait pas pour ce qui est de l'étude du système nerveux
central de l'animal.
Mais ce qui va
manquer c'est alors le recours possible à l'introspection puisque nous
sommes aveugles à l'expérience consciente d'un animal. Il devient alors
impossible dans l'étude de l'animal de comparer les observations réelles
mesurables et les données subjectives d'une même expérience.
Force est de conclure avec l'auteur que c'est l'exploration du cerveau
humain qui est possible, puisque l'accès à l'expérience consciente
permet de comparer les données objectives et les données subjectives,
grâce à l'introspection.
Reste que ce
recours à une introspection irremplaçable sera toujours une infidélité
au principe d'objectivité constitutif de la science.
En
résumé, jacques Monod commence par rappeler une première barrière
formulée par le logicien; une deuxième barrière pour l'exploration du
cerveau animal dont l'expérience consciente ne peut être atteinte; une
troisième barrière, plus subtile, qui tient à ce que l'introspection
est irremplaçable pour la comparaison des données objectives et
subjectives d'une même expérience humaine.
Joseph
Llapasset ©
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