Ce qu'on peut accorder à William James: le point de départ
de l'émotion est bien une perception ou une idée.
Ce qu'on objecte à sa théorie:
- Dire que l'émotion c'est la conscience des troubles organiques qui
l'accompagnent , c'est, en faisant appel à la conscience, faire appel à
l'introspection et du même coup rendre la recherche impossible ou approximative:
fermer la recherche sur ceux qui ne possèdent pas l'introspection, comme,
par exemple, l'enfant ou l'animal. Cette objection n'est pas une
réfutation et on pourra toujours répondre: soustraire l'introspection
n'est-ce une autre manière de s'aveugler sur l'émotion?
- Une objection plus sérieuse: dire, je vois l'ours, je tremble, j'ai une
émotion comme conscience d'un dérèglement organique n'est-ce pas
affirmer que si je vois un ours, je tremble dans tous les cas. Or, je ne
tremble pas si une grille solide me sépare de l'ours, si je suis un
chasseur avec dans mon fusil deux balles pour sangliers ...
Une perception ne prend la qualification de ce qui déclenche une émotion
que si elle n'est pas isolée de son contexte et que si elle est
rapportée à une conduite possible: vivre pour survivre. En fait ce qui
permet de comprendre la conduite émotive, c'est la finalité de toute
conduite: l'adaptation à un contexte imprévu qui permet de survivre par une
action bien ajustée et efficace. Lorsqu'une perception alerte l'individu
et lui signifie que l'adaptation sera difficile, risquée ou impossible,
l'émotion naîtra et accompagnera cette incertitude. (Devant l'ours
l'attaque ou la fuite ne serviront en rien pour la survie. La situation
semble sans issue.)
Comprendre que percevoir c'est aussi donner un sens à une information
reçue en fonction d'une conscience qui est mémoire et anticipation. Or
la conscience est bien l'organe de la survie, de l'adaptation au milieu
dans la mesure où elle utilise le passé et elle anticipe l'avenir. C'est
donc que, si l'image comme forme sensible d'un objet (vision de l'ours) a
bien entendu son importance première comme le souligne James puisque sans
elle il n'y a rien, que de l'habituel, l'image ne prend son sens que de
son rapport à celui qui perçoit, à son activité: l'image joue le rôle
d'un signal (= signe qui indique le moment d'agir, sans indiquer ce qu'il
faut faire...).
C'est dire que
toute perception donne un information qui est reçue en fonction de la
dynamique de l'activité d'un sujet: si elle met pour ainsi dire à
l'épreuve sa faculté d'adaptation elle sera en quelque sorte "émotiogène".
C'est que, lorsque l'information reçue par le sujet lui semble
susceptible de mettre en échec sa faculté d'adaptation et de lui faire
risquer, parfois, sa vie, l'émotion apparaît comme ce qui accompagne la
perception, comme si l'idée et l'excitation étaient alors constituées en
même temps.
Qu'est-ce qui disparaît dans une telle conception de la conduite
émotive?
La dualisme de
James semble définitivement oublié, l'émotion n'étant plus qu'une
forme de conduite que l'on peut à juste titre qualifier de
"cognitive" (= qui a la capacité de connaître).
Simplement cette reconnaissance d'une situation met en échec la capacité
d'adaptation immédiate du sujet et le plonge donc dans l'incertitude: on
comprend que plus l'incertitude sera grande, plus la recherche d'une
solution occupera le sujet et plus se produiront des troubles de
l'activité; plus l'émotion se constituera à l'unisson de ce
dérèglement. Plus ce que je vois me semblera menacer mes projets et donc
ma vie, ma survie elle même,et plus la conduite pour trouver une solution
sera émotive.
Joseph
Llapasset ©
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