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MARE NOSTRUM

L'hospitalité dans le monde grec
 
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"Zeus est l'Hospitalier qui amène les hôtes et veut qu'on les respecte."
 (Odyssée, chant IX)

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Pourrions-nous ouvrir par autre chose les pages de MARE NOSTRUM, que nous souhaitons accueillantes à chacun? Hospitalité, qui nous vient du Latin, traduit le fait d'accueillir quelqu'un, et le mot hospit-em, l'hôte, ne prendra que très rarement, le sens d'étranger, encore est-ce sous l'influence grecque.

Les membres français de cette famille, hospice, hôpital, hôtel conservent et développent l'idée latine qui complète celle de l'accueil: 

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Le mot grec, Philoxénia, indique un autre point de vue:

l'offre d'un lieu où on est à l'abri. L'hospitalité occidentale serait donc liée à la maison, et même, peut-être, à une maison plutôt confortable, ce qui n'étonnerait pas, venant de gens à l'esprit pratique comme l'étaient les Romains! L'hospitalité, c'est d'abord l'amour de l'étranger (attitude inverse de la xénophobie), l'accueil et les cadeaux étant les gestes nécessaires qui concrétisaient ce sentiment.

On peut expliquer cette différence par le fait que les Latins, au moins les Latins du Nord, qui possédaient de vastes espaces cultivables, étaient des terriens. Ils n'ont pas eu à tenter fortune sur la mer, à s'établir comme colons dans des régions lointaines, à commercer et à rencontrer des étrangers, comme les Grecs ont dû le faire très tôt, pour compenser l'aridité d'un pays essentiellement montagneux.
Du reste, les traditions d'accueil sont mieux ancrées en Italie du Sud, hellénisée avant de devenir romaine, que dans les régions septentrionales, où elles semblent importées plus tardivement.

L'hospitalité antique va de l'échange de nourriture jusqu'à l'aide militaire (réinstallation d'un prince injustement chassé de son trône), ou religieuse (purification d'un hôte souillé par une faute en général involontaire), en passant par les dons et par l'hébergement (où souvent, la loyauté du reçu est mise à l'épreuve par l'épouse de l'accueillant, qui s'éprend de lui!...)
Elle entraîne des devoirs réciproques de respect de l'hôte, dans ses biens, son honneur et sa vie.

  • L'Iliade rapporte que des ennemis s'étant découvert des liens d'hospitalité très anciens, au moment de se mesurer en combat singulier, y renoncèrent, et que les Grecs vainqueurs épargnèrent les biens et la famille d'une Troyenne qui leur avait montré de la générosité.

Celui qui, sans les reconnaître, accueille des visiteurs divins en est largement récompensé. La Bible nous raconte qu'Abraham, ayant sacrifié les meilleures bêtes de son troupeau pour honorer trois inconnus, reçoit d'eux la promesse d'un fils né de Sarah dans sa vieillesse, ce sera Isaac.

De la même façon, Zeus bien traité par un pauvre homme lui accorde l'enfant qu'il désire ardemment. Héraclès reconnaissant annonce à un hôte généreux la fondation de Crotone et la favorise.

Ovide, dans ses Métamorphoses, nous transmet une histoire exemplaire. Zeus et Hermès parcouraient la Phrygie. "Dans mille maisons ils se présentèrent, demandant un endroit où se reposer. Dans mille maisons, on ferma les verrous. Une seule les accueillit, petite, il est vrai, couverte de chaume et de roseaux des marécages..." , celle de Philémon et Baucis.

Comblés d'attentions par le vieux couple, les deux voyageurs accordèrent à leurs hôtes leur vœux de terminer leur vie ensemble: "Un jour... Baucis vit Philémon se couvrir de feuilles, le vieux Philémon vit des feuilles couvrir Baucis... tant qu'ils le purent, ils s'entretinrent l'un avec l'autre: "Adieu, mon époux! Adieu, mon épouse!" dirent-ils en même temps, et en même temps, leurs bouches disparurent..."

Les voisins, à l'inverse, furent punis de leur "impiété": l'eau d'un lac les engloutit.

Refuser son hospitalité à qui se présente, c'est donc une impiété. Cette conception était si ancrée dans les mentalités antiques que même une brute comme le cyclope Polyphème en connaissait assez l'existence pour la tourner en dérision, face à Ulysse: "Eh bien, je mangerai Personne le dernier... et voilà le cadeau que je te fais, mon hôte!".

L'obligation d'accueil imprègne encore si profondément les campagnes de Grèce qu'il nous est arrivé de commettre des impairs faute de le savoir. Je garde vif le remords d'avoir mis dans l'embarras un jeune berger qui nous avait spontanément prêté sa mule et son âne sur un sentier de montagne, à Naxos.

Parvenus au village, nous lui proposons de venir prendre quelque chose avec nous au café. Mais il ne peut pas, pour l'instant, il a du travail. Alors, plus tard, dans la soirée? Oui, plus tard...

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Il n'est jamais venu. Parce que, faute d'argent, il ne pouvait pas nous offrir la boisson prise avec lui dans son village, il avait fui!
Nous l'avons compris par la suite. Nous aurions dû prendre les devants en lui disant: "Nous t'invitons". Depuis, nous n'y manquons plus!

Cette obligation quasi incontournable du don gratuit à celui qui passe, étonne nos mentalités d'Occidentaux que l'accumulation rationnelle des biens matériels a rendu peu ouverts à la générosité désintéressée.

Gratuit, en fait, ce don ne l'est pas, car il établit entre deux êtres une relation de réciprocité que garde notre mot d'hôte: celui qui reçoit, et celui qui est reçu. Dès lors qu'on accepte, un accord tacite est passé.

Actuellement, l'occasion se présente rarement de rendre la pareille au cordonnier de Syros qui a offert une cuillerée de confiture et un verre d'eau fraîche, au jardinier d'Izmir qui a fait goûter sa pastèque, au boutiquier de Damas chez qui on a bu le thé à la menthe, mais la chose irait de soi..
J'en ai senti l'évidence à Mégalopolis d'Arcadie, où je passais avec une bonne quarantaine d'enfants. Nous avions lié amitié dans la ville depuis plusieurs années avec le propriétaire d'un petit bazar, et je l'avais imprudemment chargé d'organiser notre repas... On devine la suite!
Après avoir été traités comme des princes, il nous a été impossible de régler la moindre chose: tout avait été payé d'avance par notre ami. Comme je suppliais le restaurateur de m'aider, d'amener notre hôte à la raison (le repas lui avait coûté un mois de ses gains, davantage, peut-être...), il m'a répondu d'un ton sans réplique: "Ici, Dimitri est dans sa patrie, quand il sera dans la tienne, ce sera à toi de voir!"

Le message est passé: l'été suivant, nous emmenions Dimitri en France.

Que ressent le Grec d'aujourd'hui quand, pour m'inviter, il me dit dans sa langue: "Je te philoxéniserai", c'est à dire à l'origine: "J'aimerais l'étranger que tu es" ? M'invite-t-il en ma qualité d'étranger, mû par une sorte d'obligation sacrée, ou par sympathie personnelle?...

   grece Il est certain que l'Orient a le goût de l'étranger.

Un voyageur du siècle dernier, parlant de la largesse avec laquelle les hobereaux russes hébergeaient des obligés innombrables dans leurs immenses domaines campagnards, l'expliquait avec malice. Il disait en substance qu'un étranger susceptible d'apporter un peu de nouveauté et de distraction dans la morosité de l'interminable hiver, était une aubaine qu'on retenait aussi longtemps qu'on le pouvait...

Assez loin de là, dans son île natale de Crête, voici ce qui est arrivé à Nikos Kazantzakis, un jour qu'il se promenait à proximité de son village, "Une petite vieille qui passait s'est arrêtée, a ôté de la corbeille qu'elle portait quelques feuilles de figuier qui la recouvraient, choisi deux figues et m'en a fait cadeau. 
- Tu me connais, grand'mère?" lui demandai -je.
Elle m'a regardé, surprise: Non, mon enfant. Il est besoin que je te connaisse pour te donner quelque chose?
Tu es un être humain, moi aussi, ça suffit, non?
Elle a ri, d'un rire frais de jeune fille et repris son chemin, clopin-clopant, vers Mégalo Kastro.
Les deux figues laissaient perler une goutte de miel, jamais, je crois, je n'en ai goûté de plus savoureuses. Je les mangeais, et les paroles de la vieille me rafraîchissaient:

" Tu es un être humain, moi aussi, ça suffit! "

Laissons encore la parole à l'auteur de la Lettre au Gréco.

Arrivé dans un village à la nuit tombée, le jeune homme va tout naturellement frapper à la porte du pope "... j'ai vu apparaître un vieillard avec de longs cheveux répandus sur ses épaules et une barbe toute blanche. Sans me demander qui j'étais ni ce que je voulais, il m'a tendu la main
 

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- Sois le bienvenu, me dit-il, tu es étranger? Entre.
... Le prêtre m'a fait asseoir sur le canapé.

- Tu excuseras ma femme, dit-il, elle est un peu fatiguée. C'est moi qui te ferai la cuisine... et je te ferai ton lit...

Sa voix était grave et triste, je l'ai regardé, il était très pâle et ses yeux étaient gonflés et tout rouges comme s'il avait pleuré... Le lendemain, le prêtre est venu m'apporter sur un plateau du pain, du fromage et du lait.

 Je lui ai tendu la main, je l'ai remercié et j'ai pris congé de lui. Au bout du village, un vieillard ... m'a salué.
- Et où donc as-tu passé la nuit, mon petit? me dit-il.
- Chez le prêtre, vieillard, répondis-je. Le vieux a soupiré.
- Ah! le malheureux, me dit-il. Et tu ne t'es aperçu de rien?
- De quoi fallait-il que je m'aperçoive?
- Son fils, son fils unique est mort hier matin..."

Texte de Jacqueline Masson

=> Cuisine de Grèce

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