Gorges
profondes où se presse la verdure. Vallons riants où bruissent les eaux et les
frondaisons. Petites plaines, découpées en damiers soigneusement cultivés. Et la mer! Jamais on ne la perd de vue longtemps. Son bleu, si foncé que les
Anciens le disaient "couleur de vin" (de ce vin âpre et noir que
buvait Dionysos) jette toujours dans la même jubilation, lorsqu'un brusque
détour du chemin l'offre au regard, dans la courbe d'une plage, une découpe de
roches sombres, ou le camaïeu infiniment délicat d'une côte en plans
successifs.
La végétation, à la fois tropicale et tempérée, offre ensemble le
palmier, le cyprès, le platane et même cet arbre étrangement géométrique,
l'araucaria, sorte de sapin taillé aux ciseaux. Elle borde les routes de
massifs de lauriers roses ou blancs, de bougainvillées cramoisis, de volubilis
indigo, d'hibiscus rouge vif.
Dans les jardins mûrissent poires, abricots, cerises, oranges, citrons. Sur
les coteaux, la fraîche couleur des vignes jette sa note acide, et le vert
argenté des oliviers ondule en larges vagues.
Mais laissons la parole à Nikos Kazantzakis, le voici au sommet du mont Ida,
le Psiloritis:
"Le soleil était apparu, la brume s'était dispersée, la Crète tout
entière, d'une extrémité jusqu'à l'autre, resplendissait toute nue, blanche,
verte, rose, entourée de quatre mers. La crète avec ses trois faîtes
élevés, les Montagnes Blanches, le Psiloriti, le Mont Dictè, était un
trois-mâts qui voguait dans l'écume. C'était un monstre marin, une sirène,
avec une multitude de seins, étendue à la renverse sur les vagues et qui se
chauffait au soleil...
J'ai bien eu quelques joies dans ma vie, je n'ai pas à me plaindre, mais
celle de voir la Crète tout entière au-dessus des vagues, a été l'une des
plus grandes". (Lettre au Greco, Press Pocket, éditions Plon).
Une autre source d'émerveillement, c'est le miracle de cette civilisation
minoenne propre à la Crète, qui se révéla soudainement au monde il n'y a
guère plus d'un siècle.
Elle nous livre plusieurs ensembles d'assises de murs, d'escaliers, de bases
de colonnes et de piliers, dont la parfaite ordonnance détermine des surfaces
régulières de chambres, de corridors, de courettes, de terrasses, articulées
autour d'une vaste cour centrale. Une telle organisation de l'espace, une telle
maîtrise de la géométrie, plus de quatre mille ans avant notre époque nous
laissent stupéfaits.
Dans les ruines des ces constructions, des centaines d'objets de pierre,
de céramique et d'orfèvrerie: vases, lampes, tablettes, figurines, sceaux,
bijoux, prouvent que le talent des artisans n'avait rien à envier à la science
des bâtisseurs.
La variété des roches, choisies, leur grain, leur couleur, le jeu de leurs
veinures, la précision du ciseleur, la finesse, et la richesse d'invention dans
la forme et la décorations des objets de poterie, d'ivoire ou de métal jettent
dans l'émerveillement, et nous mettent, à l'évidence, devant une civilisation
d'un très grand raffinement.
Qui étaient ces minoens? Le secret de leur écriture, qu'on n'a pas encore
déchiffrée, nous laisse dans un grand embarras.
Par chance, ils couvraient leurs murs de peintures, frises décoratives, ou
scènes figuratives, dont les fragments retrouvés dans les parois écroulées
nous donnent une idée de leur mode de vie, leur habitat, leur habillement,
leurs occupations. A partir de ces restes, on a pu reconstituer les panneaux dont ils
provenaient, retrouver l'agencement et les couleurs des bâtiments dont ne
subsistaient que les bases, reconstruire sur ces données des salles, des
loggias, des puits de lumière, des suites d'appartements, un palais entier...
On a même pu concevoir une vie sociale, des modes de pensée, une religion.
En fait, s'agit-il de palais princiers, avec salles d'apparat et appartements
privés? Une seule chose apparaît certaine: pendant la période brillante qu'on a
appelée celle des palais, et qui dura des siècles, les minoens ne construisent
pas de fortifications, les armes ne figurent pas dans leurs productions. La
sécurité semble donc avoir régné en Crète, durant cette période bénie,
qu'on a appelée la "pax minoïca".
Quelle catastrophe a fait un jour disparaître cette organisation admirable,
si complètement que nulle trace n'en est restée pour les siècles suivants?
Probablement l'énorme éruption volcanique qui détruisit l'île de Santorin et
dut déclencher sur sa voisine, la Crète, des cataclysmes en chaîne, séisme,
raz de marée, incendies, peut-être épidémies... Là aussi, le problème
reste ouvert...
Mais qu'importe, après tout? La résurgence de ce passé englouti est un
miracle fascinant. Qui s'y livre a de quoi réfléchir, imaginer, créer.
=> Cuisine
de Grèce
Jacqueline Masson