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MARE NOSTRUM

Fernand Braudel (1902-1985)

  Mémoires de la Méditerranée

aux éditions de Fallois (1998).

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Cet ouvrage, écrit en 1969, n'avait jamais été édité. Avant sa récente publication, il a été revu à la lumières des découvertes scientifiques (en particulier, celle du carbone 14, qui modifie les datations) de ces dernières décennies, et il a été enrichi de notes très discrètes, par deux spécialistes, de la Préhistoire et de l'Orient-Ancien, Jean Guilaine et Pierre Rouillard.

C'est une somme, un travail immense, foisonnant, enthousiasmant. Il brasse d'un large mouvement tout ce qui a fait le monde méditerranéen, des origines jusqu'à l'émergence des temps chrétiens.

L'auteur explique d'abord les premiers âges. On voit les fonds marins se creuser, les montagnes surgir, les fleuves se frayer une route, le sol se couvrir de forêts ou se dessécher, au gré des grands cycles climatiques. Les réalités géographiques qui conditionneront la vie des hommes sont évoquées avec une poésie, un dynamisme, une force d'évocation, qui n'excluent nullement la précision scientifique.

Les premiers millénaires, du X° au III°siècles avant J.C. laissent encore le champ libre à beaucoup d'hypothèses. Avec le Bronze Ancien, des documents plus nombreux rendent les connaissances plus claires.

Très vite, Fernand Braudel pose quelques notions de base:

L'existence de deux unités méditerranéennes nettement séparées et distinctes, le bassin oriental et le bassin occidental, qui n'ont pas évolué simultanément et n'ont pas subi les mêmes influences.
La menace constante que sont les lieux élevés pour les plaines fertiles qu'ils dominent et sur lesquelles déferlent en toute occasion leurs habitants rudes et misérables.
Le retentissement sur tout le bassin oriental de ce qui se passe plus à l'est, en Mésopotamie, et même sur les plateaux iraniens. Il apparaît à l'évidence que la civilisation commence là.

Lentement, difficilement, se constituent des modes de vie. L'archéologie permet de retracer les conquêtes de l'homme: après la chasse et la cueillette, ou plutôt, concomitamment, l'élevage et la culture, (ainsi, on découvre que le chien a été très vite un ami de l'homme et que le cheval a servi longtemps de bête de trait avant qu'on songe à le monter), les techniques et l'outillage, du silex à la métallurgie, l'habitat, la construction, l'art du potier, la supériorité qu'apporte chaque maîtrise nouvelle au peuple qui en fait usage le premier.

L'élaboration de l'écriture et du calcul commence avec un outil tellement compliqué par la multiplicité de ses signes que l'usage en est réservé à une élite de scribes ou de prêtres. Un long travail remplacera ou combinera peu à peu les pictogrammes, les idéogrammes, les "rébus", les signes syllabiques, jusqu'à la géniale invention de la notation de chaque son. Ainsi allégée et simplifiée, l'écriture deviendra un moyen de communication et d'échange accessible à tous.

Une étude abondamment illustrée de figurations iconographiques et plastiques est consacrée aux différents types de bateaux et de navigation, avec leurs conséquences économiques et politiques.

Un mystère plane sur ce que Braudel appelle "la grande cassure du XII° siècle". Il décrit de façon dramatique ce moment où toute la civilisation du Moyen-Orient, Grèce comprise, sombre dans l'obscurité, détruite, ruinée, perdue. Ainsi, le linéaire B, qui transcrivait du Grec jusqu'à la veille de la catastrophe est totalement oublié: plus d'écriture! Des siècles plus tard, une solution radicalement différente, celle de l'alphabet phénicien remodelé selon les exigences phonétiques de la langue grecque, sera choisie.

La Méditerranée Occidentale démarrera plus tard. Elle se présentera longtemps, pour des Orientaux entreprenants, comme une terre vierge, une sorte de Far West. Phéniciens et Grecs s'y rencontreront et s'y affronteront, jusqu'au jour où ils disparaîtront, écrasés par une nouvelle puissance montante: Rome.

C'est elle qui unifiera l'ensemble du bassin méditerranéen, pour en faire son "Mare Nostrum", sous le signe de la Paix Romaine. Et Braudel se prend à imaginer cette colonisation réalisée deux siècles plus tôt par le génie grec, si Alexandre n'avait pas succombé à l'attrait de l'Orient...

Voilà quelques exemples des thèmes rencontrés au cours de cette lecture, qu'il faudrait faire tranquillement, en la savourant.

Je me permets de regretter que cette étude date parfois, et que certains passages, en particulier sur la Grèce et sur Rome, semblent discutables, plus intuitifs qu'argumentés réellement. Il est vrai que le ton n'est jamais péremptoire, et la réflexion toujours très ouverte. Mémoires de la Méditerranée est donc un magnifique ouvrage, tout à la fois une synthèse de civilisations et une stimulation pour l'esprit, digne de rester dans une bibliothèque, pour y être souvent revisité.

Texte de Jacqueline Masson

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