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Auteurs

MARIVAUX,

Le Jeu de l'Amour et du Hasard.  

 

Pages : 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6.

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Le valet.

Au fond, si quelqu'un se moque, ici, ce serait plutôt Arlequin, en caricaturant les belles manières et en montrant leur manque de naturel! Bon vivant, et optimiste, il ne s'embarrasse pas de subtilités de langage, on peut le trouver vulgaire, mais certainement pas sot.
Son imitation de Dorante, dont il explique avec indulgence la désinvolture à son égard: "Vos petites manières sont un peu aisées, mais c'est la grande habitude qui fait ça" , le tour qu'il lui joue en lui faisant croire qu'il a conquis l'héritière, la malice avec laquelle il simule le dédain, pour parler de la "chambrière" dont son maître est amoureux, prouvent beaucoup d'observation et de finesse.

 La jeune fille bien née.

Silvia, qui dès le premier coup d'oeil repousse ce prétendant déguisé avec une aversion méprisante, représente la fine fleur de la bonne société, elle en a les manières et les exigences. Nous avons déjà évoqué son immense soulagement en comprenant qui est Dorante, il se justifiait tout à fait.
Mais ensuite, qu'aurait-on fait à sa place?
Il me semble qu'une fille vraiment éprise aurait révélé aussitôt sa véritable identité à son amoureux pour ne pas le laisser en peine. Ce serait mal connaître la demoiselle! Vous rappelez-vous que nous avions songé aux Précieuses de Molière, en la voyant réagir au projet de mariage trop bien établi par son père? Cathos et Madelon disaient au bonhomme Gorgibus qu'il fallait les laisser vivre leur roman d'amour, et toutes ses palpitantes péripéties. Silvia, sans l'avoir avoué aussi clairement, rêve de la même façon.

  • Écoutez-la! Voici ce qu'elle dit en étrennant son déguisement devant son frère: "Je ne haïrais pas de lui plaire sous le personnage que je joue, je ne serais pas fâchée de subjuguer sa raison, de l'étourdir un peu sur la distance qu'il y aura de lui à moi. Si mes charmes font ce coup-là, ils me feront plaisir".

Elle sera pleinement satisfaite: "un coeur qui m'a choisie dans la condition où je suis..." Mais elle va prolonger une cour qui la flatte en mettant Dorante à l'épreuve, sous prétexte de vérifier la solidité de ses sentiments. Son frère s'en étonne: "Tu espères qu'il ira jusqu'à t'offrir sa main dans le déguisement où te voilà?" La jeune fille ne doute de rien:
- Il pense qu'il chagrinera son père en m'épousant. Il croit trahir sa fortune... Je serai charmée de triompher... Je veux un combat entre l'amour et la raison.
- Quelle insatiable vanité d'amour-propre!"  s'exclame son père, scandalisé.

Le vocabulaire: "mes bontés... mes charmes... subjuguer... triompher... combat... mon captif..." va de pair avec cette mentalité coquette et dominatrice.
Par gloriole, elle met en péril son bonheur dans un quitte ou double, car, dans ce jeu, Dorante est à deux doigts de renoncer à elle: "S'il part, je ne l'aime plus, je ne l'épouserai jamais".
Pour mieux se faire valoir, elle joue la comédie de la noblesse d'âme:
"Je me ferais un scrupule de vous dire que je vous aime... L'aveu de mes sentiments pourrait exposer votre raison... Ne faut-il pas être bien généreuse pour vous dissimuler..."

"Enfin, j'en suis venue à bout", s'écrie-t-elle quand Dorante renonce par amour pour elle à un mariage selon son rang. Est-ce un cri de tendresse, ou un cri de triomphe?
Silvia est sans doute fort séduisante, ses délicatesses sont exquises, mais son jeu, d'abord innocent et seulement destiné à lui permettre d'observer sans être vue, dévoile un caractère égocentrique à l'extrême, il devient odieux, une fois connue l'identité de Dorante. Autant de prétention ne peut être appréciée que dans une société très peu ouverte. Marivaux, ici, ne nous présente sûrement pas un idéal féminin.

  • La servante. *Une fille bien dans ses baskets!

  Quelle différence avec Lisette! Aussi féminines l'une que l'autre, toutes deux ont conscience de leur pouvoir de séduction, mais autant Silvia est compliquée et difficile à satisfaire, autant sa suivante est saine et pleine de bon sens.
Mis à part son aveuglement bien compréhensible sur Arlequin, elle a toujours un coup d'oeil juste. Elle observe que le valet Bourguignon a une attitude déplacée pour sa situation: "C'est un original, j'ai remarqué qu'il fait l'homme de conséquence avec elle" , elle précise: "Il la regarde et soupire". Aux questions de Monsieur Orgon sur Silvia, elle fait cette réponse laconique mais significative: "Elle rougit".
Lorsque elle-même espère réussir un beau mariage, elle reste consciente de son état et elle s'assure auprès de monsieur Orgon que la chose est admissible. Plus tard, loin de considérer comme un désastre la perte de ses illusions, elle tire de l'affaire un bilan positif. Moins gâtée que sa maîtresse, et donc plus réaliste, elle ne commet pas la folie de s'entêter dans ses rêves.
Sans montrer ni docilité servile, ni arrogance, elle peut répondre à Silvia, qui lui reproche son peu d'empressement à lui obéir: "
Pardi, madame, je ne puis pas jouer deux rôles à la fois. Il faut que je paraisse ou la maîtresse ou la suivante, que j'obéisse ou que j'ordonne".

*Voilà un modèle de jeune fille!  C'est Lisette, qui, dans cette pièce retient la sympathie, et avec elle son joyeux Arlequin. Certes, Dorante se comporte de façon parfaite, mais Silvia, qui pourtant a la place d'honneur, se révèle une pimbêche.
Je serais donc portée à dire que les apparences ici sont trompeuses et les valeurs inversées. Du reste, le mot de la fin est laissé au valet, qui met tout le monde sur le même pied avec cette expression allègrement populaire:

"Allons, saute, marquis! "

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