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Auteurs

MARIVAUX,

Le Jeu de l'Amour et du Hasard.  

 

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Il semble par moments qu'ils sont d'une autre espèce! 
Avec malice, Mario impose le tutoiement aux faux domestiques: "entre gens comme vous...", déclare-t-il avec ironie. Quand il feint la jalousie devant Dorante, il ajoute, dédaigneux: "il me déplaît à moi, d'avoir un Bourguignon pour rival".
Même le bon monsieur Orgon n'échappe pas à cette condescendance. A Lisette, qui cherche à l'avertir des sentiments de sa fille pour le prétendu Bourguigono, il répond, sans songer que c'est vexant pour elle: "Tu te trompes: les regards d'un valet ne l'embarrassent pas jusque là". Il apaise sa fille, fâchée par les propos de sa suivante: "ces gens-là ne savent pas la conséquence d'un mot".

  • Il y a donc, une distance entre maîtres et serviteurs, une distance impossible à franchir, surtout dans le domaine des amours et du mariage. Il n'est pas question, pour une fille bien née, de se compromettre avec n'importe qui.

La frontière est plus souple en ce qui concerne les fils de famille, dont les amourettes avec les jeunes servantes ont toujours existé. Les aveux très retenus de Silvia, qui est encore Lisette, expriment bien la gravité de ce qui peut sembler un jeu sans conséquences: "Vous m'aimez, mais votre amour n'est pas une chose bien sérieuse pour vous. Que de ressources n'avez-vous pas pour vous en défaire!.. Vous en rirez peut-être au sortir d'ici, et vous aurez raison. Mais moi, monsieur, si je m'en ressouviens, comme j'en ai peur... qui me dédommagera de votre perte? Qui voulez-vous que mon coeur mette à votre place?"

Le problème de Dorante sera qu'il respecte trop Silvia pour s'en amuser (si elle s'y prêtait!), mais qu'il ne peut l'épouser, sous peine de déchoir et de "chagriner son père": "Il ne m'est pas permis d'unir mon sort au tien".
Dans ces conditions, qu'une fille de sa qualité placée devant le même dilemme que lui se laisse aller à ses sentiments le remplit de stupeur: "Comment! Elle a consenti à t'épouser?" il est certainement très confus du mauvais tour qu'il joue à un vieil ami de son père et il souhaiterait vivement empêcher cette incongruité: "Ta maîtresse a si peu de goût qu'elle est éprise de mon valet et qu'elle l'épousera si on la laisse faire".

Mario essaie de taquiner sa soeur, charmante sous son déguisement: "C'est autant de pris que le valet", mais celle-ci lui réplique vertement: "à l'égard de son valet... il y aura quelque chose de ma physionomie qui imposera plus de respect que d'amour à ce faquin-là".

Aussi, quel embarras, quelle humiliation pour elle de se sentir attirée par Dorante en domestique: "il s'agit d'un valet!". Elle est indignée par les insinuations de Lisette: "écartons l'idée dont cette insolente est venue me noircir l'imagination" et elle essaie par des propos assez désobligeants, de décourager des soupirs qui la blessent: "Je ne suis point faite aux cajoleries de ceux dont la garde-robe ressemble à la tienne", "Ta livrée n'est pas propre à faire pencher la balance en ta faveur", "J'amuserai la passion de Bourguignon! Le souvenir de tout cela me fera bien rire un jour".
Lorsque les déclarations de Dorante l'obligent à une réponse claire, elle se se doit de dire: je "ne t'aime ni ne t'aimerai. Voilà mes dispositions..." mais elle ne peut s'empêcher d'ajouter: " ma raison ne m'en permet point d'autre".
Sans connaître encore l'identité de la jeune fille, Dorante résume bien les obstacles qui interdisent à Silvia de l'épouser: "Si j'étais riche, d'une condition honnête (=honorable)... ton coeur n'aurait pas de répugnance pour moi?"

- "Assurément", répond-elle sans hésiter.

Et elle s'avouera, une fois dévoilée la qualité du garçon qui la trouble si fort: "Allons,j'avais grand besoin que ce fût là Dorante!"
Elle est soulagée d'apprendre qu'elle va pouvoir se marier sans déchoir, ni renoncer à sa situation de fortune.

  • Mais au-delà de cette réaction inspirée par les convenances, que certains peuvent juger mesquine, il y a le bonheur légitime d'avoir rencontré un garçon dont les manières lui ont plu tout de suite parce qu'elles étaient celles de son milieu et qu'elles procédaient de la même éducation que la sienne.

"Je vois clair dans mon coeur", ce cri résume et explique toutes les perplexités de Silvia, sa sympathie spontanée pour Dorante: "Quel homme, pour un valet!", son peu d'attrait pour le faux prétendant, ce "vilain homme", "cet animal-là", dont elle détestait "les brutalités", et pourquoi elle se disait: "Aucun des deux hommes n'est à sa place!".
A ses réactions, correspondaient celles de Dorante: "Quelle espèce de suivante es-tu donc, avec tes airs de princesse?". D'instinct, et sans craindre de la blesser, il avait pu affirmer qu'il n'était pas sensible au charme des soubrettes, et déclarer: "Je n'aime pas l'esprit domestique".
Du reste, dès qu'il avait appris la coïncidence des deux supercheries, Mario, en avait imaginé le dénouement: "Voyons si leur coeur ne les avertirait pas de ce qu'ils valent".

  • Tout le monde n'est pas obligé d'aimer l'esprit de caste qui s'exprime ici, nous aurons peut-être à y revenir.

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