Auteurs MARIVAUX, Le Jeu de l'Amour et du Hasard.
Pages : 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6. ------------------------------------------------------------ Il semble par moments qu'ils sont d'une autre espèce!
La frontière est plus souple en ce qui concerne les fils de famille, dont les amourettes avec les jeunes servantes ont toujours existé. Les aveux très retenus de Silvia, qui est encore Lisette, expriment bien la gravité de ce qui peut sembler un jeu sans conséquences: "Vous m'aimez, mais votre amour n'est pas une chose bien sérieuse pour vous. Que de ressources n'avez-vous pas pour vous en défaire!.. Vous en rirez peut-être au sortir d'ici, et vous aurez raison. Mais moi, monsieur, si je m'en ressouviens, comme j'en ai peur... qui me dédommagera de votre perte? Qui voulez-vous que mon coeur mette à votre place?" Le problème de Dorante sera qu'il respecte trop Silvia pour s'en
amuser (si elle s'y prêtait!), mais qu'il ne peut l'épouser, sous peine de
déchoir et de "chagriner son père":
"Il ne m'est pas permis d'unir mon sort au
tien". Mario essaie de taquiner sa soeur, charmante sous son déguisement: "C'est autant de pris que le valet", mais celle-ci lui réplique vertement: "à l'égard de son valet... il y aura quelque chose de ma physionomie qui imposera plus de respect que d'amour à ce faquin-là". Aussi, quel embarras, quelle humiliation pour elle de se sentir
attirée par Dorante en domestique: "il
s'agit d'un valet!". Elle est indignée par les insinuations
de Lisette: "écartons l'idée dont cette
insolente est venue me noircir l'imagination" et elle essaie
par des propos assez désobligeants, de décourager des soupirs qui la
blessent: "Je ne suis point faite aux
cajoleries de ceux dont la garde-robe ressemble à la tienne", "Ta
livrée n'est pas propre à faire pencher la balance en ta faveur",
"J'amuserai la passion de Bourguignon! Le souvenir de tout cela me fera
bien rire un jour". - "Assurément", répond-elle sans hésiter. Et elle s'avouera, une fois dévoilée la qualité du garçon qui la trouble
si fort: "Allons,j'avais grand besoin que ce
fût là Dorante!"
"Je vois clair dans mon coeur",
ce cri résume et explique toutes les perplexités de Silvia, sa
sympathie spontanée pour Dorante: "Quel homme,
pour un valet!", son peu d'attrait pour le faux prétendant,
ce "vilain homme", "cet
animal-là", dont elle détestait "les
brutalités", et pourquoi elle se disait: "Aucun
des deux hommes n'est à sa place!".
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