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Molière - Don Juan et Sganarelle  


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Regards de Serviteurs - page 3

III- Comment réagit Sganarelle quand le drame s'achève en catastrophe?

Lorsque enfin, la mort saisit son maître, Sganarelle en tire une conclusion qui est dans la logique de l'action, et du portrait qu'il donnait au début du drame. Ce châtiment que lui-même prévoyait (le souhaitait-il?) correspond à la morale officielle, qu'il n'a jamais songé à discuter:
 

"Voilà par sa mort un chacun satisfait: ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content".

Que penser de sa réaction personnelle: "Il n'y a que moi seul de malheureux"? Elle est encadrée, par l'exclamation répétée: "mes gages!"

Est-ce la désolation d'avoir travaillé pour rien, et Sganarelle n'était-il attaché à Don Juan que par le besoin de gagner sa vie?

Est-ce l'aveu d'un réel chagrin? Ce maître scandaleux le fascinait, j'en suis convaincue.

Et plus tard?

Depuis le temps où Molière écrivit Don Juan, plus de trois siècles ont passé. Croire en Dieu n'est plus un devoir de société, les règles de l'amour et celles de la Morale se sont considérablement assouplies...

Molière faisait juger sévèrement par Sganarelle, les incartades du seigneur espagnol pour ne pas effaroucher les censeurs, sans doute en irait-il différemment de nos jours.

Un autre point de vue.

André Belzon, écrivain-comédien contemporain, imagine que Sganarelle engage avec son auteur, Molière, une sorte de procès sur la façon dont il a présenté dans sa pièce le maître et le valet.  
(cf. Sganarelle ou la Répétition Ininterrompue, aux éditions Domens, à Pézenas).

Ses plaintes concernant sa condition inférieure et le caractère un peu grotesque de son personnage sont bien naturelles et nous pouvons y réfléchir.

Quant à son refus d'assumer les sentiments que lui prête le texte de Molière, il peut renouveler complètement notre regard sur les deux personnages!

Le plus grave reproche de Sganarelle porte sur le cri "mes gages!" qu'on l'oblige à pousser et qui clôt la pièce. Cette exclamation burlesque fait, dit-il, tomber l'émotion et prive le héros de sa fin tragique.

Du reste, Molière, en faisant ainsi disparaître le grand libertin, satisfait la Morale au pouvoir et réduit injustement sa mort à une punition du genre "tout est bien qui finit bien".

Comment, par ailleurs, peut-on réclamer des gages à un mort? "Mes gages!" ce cri odieux qu'on exigeait de lui, Sganarelle n'a pu le jeter qu'en pleurant. Et ces pleurs qui essayaient d'atténuer la honte d'un sentiment par trop mesquin étaient aussi l'expression d'un chagrin réel.

Car Sganarelle aimait son maître!

Il l'aimait et il admirait, sa fierté, son esprit brillant, son indépendance, avec comme une prescience du Siècle des Lumières.

Il l'aimait aussi pour une raison très profonde et que lui seul pouvait connaître:

Cet homme dont on dit qu'il n'aimait personne ne s'aimait pas lui-même! Ces défis toujours plus fous, plus audacieux qu'il lançait à la vie et au monde, c'est à lui-même qu'il les jetait dans une course désespérée vers la mort...

Don Juan, Philosophe des Lumières avant l'heure...

Don Juan, précurseur des Romantiques, déjà victime du dégoût de soi et de la vie...

Voilà les pistes séduisantes que nous ouvre André Belzon, elles méritent que nous y rêvions!

Tel est, en effet, le signe des vrais chefs d'oeuvre (et Don Juan, certes, en un): chaque époque, chaque sensibilité y puise un sens et y trouve sa vérité.
Sganarelle, lui aussi, est sans doute capable d'évoluer!

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et suivre, par exemple, regards de serviteurs, avec Jacques le Fataliste de Diderot.

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