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Molière - Don Juan et Sganarelle  


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Regards de Serviteurs  - page 2

II- Sganarelle ne sait pas à quel saint se vouer pour  retenir la démesure de son maître. Rien ne l'arrête. Il peine, choque ou fait souffrir ceux qu'il rencontre, il brise des vies, il le sait, mais il n'en éprouve ni scrupule, ni remords. En effet, seule compte la réalité tangible de son plaisir immédiat.

Un Esprit Fort.

Les sujets les plus respectables, les sentiments les plus sacrés, les règles de morale les plus élémentaires sont pour lui lettre morte.

Il traite avec ironie l'argumentation de son valet qui s'épuise de façon touchante et maladroite à lui démontrer les merveilles de la Création pour l'amener à des sentiments plus religieux, ou au moins à une conduite moins dissolue.

Loin d'éprouver pour son père affection, reconnaissance ou respect, il se plaint amèrement de son importune longévité.

La mort, qui en impose aux plus audacieux, ne lui inspire que sarcasmes. Il se permet de visiter le tombeau d'un homme qu'il a tué, et de ricaner de sa magnificence. Par un défi sacrilège, il invite à dîner la statue de sa victime.

Un perturbateur cynique.

Non seulement Don Juan n'a aucun principe moral, mais il se moque de ceux des autres, et il semble prendre plaisir à déstabiliser ou à corrompre son entourage.

La tentative la plus significative est le chantage exercé sur l'ermite mendiant: il recevra une aumône s'il consent à blasphémer, c'est à dire à insulter son Dieu. Devant son refus, Don Juan semble céder, puisqu'il lui donne une pièce, mais le commentaire qui l'accompagne est un nouvel outrage à la Foi de cet homme pieux: "Je te la donne", non pas pour l'amour de Dieu, selon la formule consacrée, mais "pour l'amour de l'humanité". Dieu est ainsi évacué au bénéfice de l'homme, ce qui scandalisera le vieillard et aussi Sganarelle.

Devant ses domestiques, il se vante de savoir berner ses créanciers en les noyant sous de belles paroles, pour les renvoyer contents, sans leur verser un sou. N'est-ce pas leur apprendre la malhonnêteté et le mensonge?

Les deux petites paysannes que Don Juan a courtisées, comment vont-elles se comporter maintenant? Il les a éveillées à la coquetterie en détaillant indiscrètement leurs attraits, il leur a fait croire qu'elles méritaient mieux que des pêcheurs! Vont-elles, à présent, se contenter de leur chaumière? Je crains l'insatisfaction, la mauvaise humeur, les querelles, et je plains les amoureux de ces deux belles!

Done Elvire, qu'il a initiée au plaisir, pourra-t-elle reprendre une existence d'austérité dans un couvent, après cette expérience brûlante? Sa seconde visite donne à penser que, malgré ses dénégations, elle est toujours éprise de son séducteur.

Et Sganarelle!
Pourquoi son maître tient-il à
tout lui expliquer de ses sentiments et de ses projets?

-Par amitié?

Il le considère trop peu pour en faire son confident!

-Pour lui demander conseil?

En vérité, il ne l'écoute que pour rire de ses avis!

-Pour se justifier?

Il s'est mis au-dessus des lois et il se moque du jugement de ses semblables!

Il le fait parce qu'on aime toujours parler de soi, mais surtout, me semble-t-il, pour le plaisir de faire peur à son valet et de le scandaliser en lui faisant voir le diable!

 
Disons, pour sa décharge, que Sganarelle est bon public et que le faire marcher en taquinant ses principes, est tentant! Don Juan ne s'en prive jamais.
 

Alors que le brave garçon, bouleversé par le malheur de Done Elvire, tente de rappeler à son maître le caractère sacré du mariage, celui-ci lui répond par une apologie de l'infidélité, en lui détaillant les délices de la poursuite amoureuse.

Si Don Juan l'interroge et le met sur la voie des confidences, c'est pour mieux se moquer de sa crainte du Ciel et pour l'ébranler dans ses convictions.

Mais le plaisir devient pervers quand il avilit. Par la menace et l'intimidation, Don Juan force en effet Sganarelle à la lâcheté de parler ou d'agir contre sa conscience.

Plus d'une fois, malgré son désir de mettre en garde une future victime, il est réduit au silence par l'arrivée son maître, qui l'oblige à transformer en éloge l'avertissement commencé.

Par son exemple, il l'engage à se moquer à son tour de Monsieur Dimanche, le créancier malchanceux.

Plus tard, il le contraint à une démarche odieuse, effrayante et absurde en le chargeant de son invitation au Commandeur qu'il a tué.

Enfin, il fait de lui le confident horrifié de son hypocrisie, "vice privilégié" de ceux qui "se sont fait un bouclier du manteau de la religion et, sous cet habit imposé, ont la permission d'être les plus méchants hommes du monde". Grâce à cette nouvelle stratégie, Don Juan pense pouvoir conserver l'appui de son père, dont il a besoin.

Cette fois, c'en est trop, Sganarelle ne peut en supporter davantage: "O Ciel! qu'entends-je ici? Il ne vous manquait plus que d'être hypocrite pour vous achever de tout point et voilà le comble des abominations". Il se lance alors dans une improvisation désespérée pour ramener son maître à la raison, mais c'est peine perdue.

Il voit bientôt Don Juan mettre sa tactique à exécution auprès de Don Carlos, frère de Done Elvire, en invoquant pieusement l'obstacle de sa conversion, qui lui interdit désormais de vivre avec sa sœur, mais aussi de se battre en duel! Pour venger l'honneur fraternel, Don Carlos ne peut donc que l'assassiner, chose impossible à cet homme loyal.

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